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Talleyrand, les beautés du diable

Talleyrand, les beautés du diable

Titel: Talleyrand, les beautés du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Decker
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piments, le poivre et le vin de Madère.
    En clair, parmi toutes les femmes lascives ou nerveuses que Talleyrand avait rencontrées, depuis Julienne Picot la dentellière jusqu’à Aimée la belle égérie de Chénier, Catherine Grand était une véritable révélation. À ses yeux, elle avait tout simplement inventé la sensualité.
    Mais pas la poudre !
    Quand on lui demandait où elle était née, elle répondait avec une candeur inouïe, en faisant rouler ses beaux yeux bleus :
    — Je suis d’Inde.
    Un soir, alors qu’elle assistait à un récital du poète tragico-comico-lyrique qu’était Népomucène Lemercier et que celui-ci, avant de commencer de déclamer pompeusement, annonce pour camper son histoire :
    — La scène est à Lyon...
    On dit qu’elle se tourna vers son ministre préféré en lui faisant remarquer :
    — Vous voyez que j’ai raison, mon ami. Pourquoi prétendez-vous toujours que c’est la Saône qui coule à Lyon !
    On imagine la consternation de Talleyrand.
    — Elle est bête avec délice, dira-t-il.
    Une autre fois, à l’époque du retour de la campagne d’Égypte, un après-midi où les salons de l’hôtel de Galliffet grouillaient de savants, elle se pencha admirative vers Vivant-Denon, qu’elle confondait manifestement avec Daniel Defoe, et lui lança tout à trac :
    — Ah ! monsieur, quelle émotion ! Cette île déserte, ce perroquet, ce Vendredi ! Et votre chapeau pointu !
    Ne manquait que le turlututu.
    — Elle a de l’esprit comme une rose, se résignait Charles Maurice.
    Ou bien il se consolait :
    — Une femme d’esprit compromet souvent son mari, une femme stupide ne compromet qu’elle-même.
    De l’esprit il en avait pour deux et il n’oubliait surtout pas que Kelly possédait d’autres qualités.
    Heureusement !
    Car elle manquait rarement l’occasion de commettre une bévue.
    Dans un dîner, une de ses amies se pâme d’admiration devant la croix pectorale en diamants qu’elle porte sur sa gorge :
    — Ça vient de mon mari, lance-t-elle naïvement.
    Mais quand une autre de ses invitées lui fait remarquer que ses boucles d’oreilles mériteraient de plus grosses perles, avec sa candeur inouïe, elle riposte :
    — Vous croyez donc que j’ai épousé le pape !
    Non, elle se satisfaisait d’un évêque.
    Était-elle aussi niaise qu’on l’a souvent prétendu ? Rien n’est moins sûr. Quand elle sera devenue officiellement « madame Charles Maurice » et que Bonaparte – manquant une fois de plus d’éducation – l’interpellera à la hussarde, en tapant du pied : « J’espère que la bonne conduite de la citoyenne Talleyrand fera oublier les légèretés de madame Grand », plus futée qu’on ne le croit, Kelly lui répondra paisiblement en s’inclinant :
    — À cet égard, je ne saurais mieux faire que de suivre l’exemple de la citoyenne Bonaparte.
    Et comme chacun savait que Joséphine ne passait pas pour une adepte du cilice ou de la ceinture de chasteté, on se prend à songer que la pulpeuse Danoise de Tranquebar était moins d’Inde qu’on n’aurait pu l’imaginer...
     
    Bonaparte, qui vient d’entrer sur la scène du Consulat, ne supporte pas la vie dissolue que mène son ministre et, pour tenter de l’éloigner de madame Grand, il va même jusqu’à lui proposer la pourpre cardinalice.
    — Voilà qui effacerait toutes les turpitudes de votre passé, explique-t-il.
    Car, si étonnant que cela puisse paraître et bien que souvent menacé d’excommunication, Charles Maurice était encore officiellement mitré.
    — À une époque où nous sommes en passe de nous réconcilier avec l’Église, mon ministre des Affaires étrangères ne peut vivre en concubinage, insiste le Corse.
    — Dans ces conditions, monsieur le Premier Consul, je vais épouser madame Grand.
    Si cette décision satisfaisait pleinement la manie matrimoniale de Bonaparte, il n’en demeurait pas moins que deux obstacles de taille s’opposaient à la célébration du plus scandaleux des mariages du XIX e siècle ! D’abord, il fallait que l’ancien évêque d’Autun fût désacralisé par le Vatican, ensuite il existait un monsieur Grand.
    Talleyrand n’avait pas fini de surprendre, certes, mais de là à glisser son anneau pastoral au doigt d’une bigame !
    Pour le divorce de Kelly l’affaire ne traîna pas. Quand elle expliqua aux magistrats que son ci-devant époux ne s’était pas manifesté depuis plus de

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