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Talleyrand, les beautés du diable

Talleyrand, les beautés du diable

Titel: Talleyrand, les beautés du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Decker
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d’Espagne, par exemple. Ah ! ça, il ne le portait pas dans son coeur, le chevalier d’Azara ! Surtout depuis le jour où il lui avait demandé trois livres de chocolat. Certes, Azara lui avait bien fait livrer une petite boîte contenant cette denrée précieuse dont Madrid avait alors le quasi-monopole, mais il avait eu le mauvais goût de joindre une facture à son envoi.
    Alors, Charles Maurice s’était vengé à sa manière. Lors d’un dîner donné chez le « vieil hidalgo » radin, il eut en effet un coup de canne malheureux, provoquant la chute d’une pile d’assiettes inestimables.
    — Oh ! je suis d’une maladresse inouïe, s’excusa-t-il gravement.
    Mais il eut peine à garder son sérieux en découvrant le visage subitement atterré du noble Espagnol constatant l’ampleur des dégâts.
    — Vous m’enverrez votre facture, voilà tout.
    Au nombre de ses familiers de Bourbon, il retrouvait sa vieille amie madame de Bonneuil pour laquelle, autrefois, dans sa folle jeunesse, il avait eu quelques tendresses. Il continuait de l’adorer pour sa conversation qui était étonnante.
    — Elle est de nature à rappeler celle qui avait fait la célébrité de Ninon de Lenclos, disait-il.
    Le gendre de madame de Bonneuil n’était autre que Regnault, ex-député de la ville de Saint-Jean-d’Angély, et ancien conseiller d’État du Consulat. Au gré de Charles Maurice, cet homme-là était devenu un vrai cireur des bottes de l’Empereur et surtout un affamé de titres et de décorations.
    — L’Empereur m’a fait comte, exulte-t-il un jour devant le ministre des Relations extérieures. Désormais je suis donc le comte Regnault de Saint-Jean-d’Angély.
    — Ah ! bravo !
    — Je crois même que, malgré la différence d’orthographe des noms, il me sera facile d’établir que je descends des Renaud de Montauban.
    — Ah ! mais c’est bien possible, répond Talleyrand sarcastique à souhait, et ce sera probablement par les Saint-Jean-d’Angély...
     
    Confortablement immergé dans sa piscine bourbonnaise, dans ce bassin que l’on appelle encore le Bain du Prince, Charles Maurice n’ignore cependant pas que les appétits d’ogre de Napoléon vont irriter les cours européennes. D’ailleurs, l’Angleterre s’agite déjà, la Prusse renâcle, l’Autriche est exaspérée et la Russie elle-même commence de trouver que le petit Corse a les yeux plus gros que le ventre.
    Négocier pendant qu’il en était encore temps ? Charles Maurice aurait sans doute pu le faire avec les différentes chancelleries européennes auprès desquelles il ne passait pas pour un va-t-en-guerre, mais pas avec son maître.
    En réalité, dès 1805, tandis qu’il est contraint de suivre Napoléon sur les différents champs de bataille – adieu la douceur de vivre parisienne ! –, il constate qu’il n’a plus aucun pouvoir en qualité de ministre des Relations extérieures, qu’il n’est plus qu’un secrétaire. L’Empereur ne lui demande plus son avis, il découpe la carte de l’Europe, crée des principautés, distribue des royaumes, mate les rois et méprise leurs sujets. S’il s’aventure à lui dire qu’il faut savoir faire la paix pour n’être pas condamné à faire la guerre sans merci jusqu’à la catastrophe inéluctable, il n’a droit qu’à un haussement d’épaules.
    Il est inquiet, Talleyrand.
    Et cependant il ne peut s’empêcher d’être encore admiratif pour l’homme qui a su rétablir l’ordre dans le vieux royaume de France, l’homme à qui il doit tout.
    Et si cet homme-là venait à mourir sur un champ de bataille ? Et s’il tombait malade ? Il dormait si peu et se nourrissait si mal ! N’assisterait-on pas, alors, au retour de l’anarchie ?
    Oui, l’Empereur ne se ménageait pas. Un soir, par exemple, à Strasbourg, alors qu’il se préparait à marcher sur l’Autriche, il convoque Talleyrand et Rémusat dans sa chambre.
    En 1816, quand il écrira ses Mémoires , Charles Maurice se souviendra de cette scène qui se déroula à peu près deux mois avant le combat d’Austerlitz.
    — À peine l’Empereur avait-il ôté sa redingote qu’il s’écroula sur le dallage. Il n’eut que le temps de crier qu’on fermât les portes. Il semblait étouffer. Son corps était secoué de mouvements violents et incontrôlés, une salive blanche écumait de ses lèvres. Des larmes coulaient de ses yeux. Une convulsion le secoua au point de lui causer un

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