Talleyrand, les beautés du diable
de faire aimer mon pouvoir.
Un pouvoir qu’il exercera par l’intermédiaire d’un gouverneur – un Alsacien nommé Louis de Beer – en qui il avait toute confiance. Car lui-même ne mettra jamais le pied bot sur sa maigre terre de Campanie.
Il est vrai que la quarantaine de milliers de Bénéventais ne vivaient pas franchement dans l’opulence. Il est encore vrai que ce petit territoire situé à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Naples ne lui rapportait guère plus de 40 000 francs l’an, soit cinq à six fois moins que son domaine de Valençay. La faute à la corruption et au brigandage qui semblaient être les seules mamelles de la principauté.
— De Beer, il faut que cela change !
Et cela changea !
Parce que ledit de Beer reçut immédiatement pour consigne de faire appliquer le grand projet du nouveau prince.
Un projet que Charles Maurice avait exposé devant la Constituante, en 1791, lorsqu’il était député d’Autun. Mais la chambre tumultueuse avait alors d’autres chats à fouetter et il était quasiment resté lettre morte.
Ici, dans sa principauté, il allait enfin pouvoir le réaliser.
— Je veux que tout Bénéventais puisse s’instruire gratuitement. J’affirme que l’instruction publique est nécessaire à tous.
Et si on lui rétorquait :
— Quoi, à tous ? même aux filles ?
Il répondait calmement :
— Les soins que l’on donnera à l’éducation des femmes seront un des moyens les plus sûrs de polir et d’épurer les moeurs.
Il est vrai que depuis longtemps le polissage de la gent féminine n’avait plus aucun secret pour lui.
Résultat, la principauté de Talleyrand fut pour quelques années le seul État d’Europe à profiter d’une instruction gratuite.
Et quand on songe que la France devra attendre la Troisième République de Jules Ferry (1882) pour en arriver là !
En se gardant bien, toutefois, le moment venu, de rappeler que l’idée originelle appartenait à un grand seigneur.
Et qu’elle avait déjà près de cent ans d’âge !
Charles Maurice avait imaginé l’Éducation nationale ? Il avait également formé le voeu que fût créé, à Paris, une manière d’établissement où se trouverait « tout ce que la raison comprendrait, tout ce que l’imagination saurait embellir, tout ce que le génie pourrait atteindre ».
Ici, il fut beaucoup plus rapidement entendu puisqu’en 1795 on créa l’Institut qui le compte d’ailleurs parmi ses tout premiers membres.
Les Bénéventais ne se plaignent pas de Carlo Maurizio. C’est grâce à lui qu’ils apprennent à lire et à écrire ; c’est lui qui, façon Mérimée avant l’heure, entreprend la restauration de leurs monuments historiques, telle la porte d’Or, cet arc de triomphe de Trajan qui menaçait ruine ; c’est encore lui qui fait ériger des fontaines publiques dont celle de la piazza di Carlo Maurizio sur laquelle ses sujets reconnaissants sont venus graver cette étonnante formule : « Les Naïades en exil dans le désordre des temps sont revenues sous le règne de Carlo Maurizio. »
Les Naïades étaient revenues ? Elles ne s’attarderont pas, hélas, puisqu’en 1814, lors de l’effondrement du système napoléonien, le nouveau roi de Naples – Murat, beau-frère de l’Empereur aux abois – fera main basse sur le Bénévent et se l’annexera.
Plus tard encore, c’est-à-dire au congrès de Vienne, récupérant son bien, le pape – et c’était encore le vieux Pie VII – acceptera, grand seigneur, de garantir une rente viagère à Carlo Maurizio pour services rendus à la principauté. La charité chrétienne, sans doute...
Talleyrand ne se sortait décidément jamais d’affaire sans un bénéfice à la clef.
Donc, à compter de 1806, Charles Maurice est un prince, une altesse.
Aussi se précipite-t-on chez lui, rue du Bac, pour le féliciter.
— Ne m’appelez pas Altesse, finit-il par dire, un brin irrité par tous les encenseurs. Non, s’il vous plaît, ne m’appelez pas Altesse, je suis moins et peut-être mieux que cela, appelez-moi monsieur de Talleyrand tout simplement. Vous ne trouvez pas que la partie tête vaut mieux que la particule ? Passez plutôt chez mon épouse, c’est à elle qu’il faut en faire compliment ; les femmes sont toujours charmées d’être princesses.
Évidemment, on s’en doute, de son côté la grasse Kelly était aux anges.
— Elle recevait dans un grand fauteuil,
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