Talleyrand, les beautés du diable
Hérault de Séchelles, un pur et dur du Comité de salut public, un homme qui avait déclaré :
— J’ai semé des guillotines sur ma route et cela a produit de bons effets.
Des mauvais, aussi, puisque lui-même n’échappa point aux charrettes des dantonistes !
Devenue « veuve » de son Hérault, Adèle de Bellegarde se consola dans les bras de Mailla Garat, un plumitif sans talent qui la battait comme plâtre après avoir bu et qui avait aussi été l’amant d’Aimée de Coigny.
Quel microcosme sentimental que le Paris de cette époque !
Avant d’être séduite par la folle élégance de Charles Maurice, Adèle avait très souvent posé fort peu vêtue devant le peintre David, dans son atelier des combles du Louvre, en face du pont des Arts. C’est d’ailleurs elle qui figure, les seins amplement découverts, au premier plan du tableau représentant Les Sabines arrêtant le combat entre les Romains et les Sabins, déposant trois petits enfants nus dans un joli geste de pitié. Elle accepta également qu’il lui croquât la cuisse et la jambe pour pouvoir les glisser dans tel ou tel autre tableau de sa composition.
Adèle avait la jambe fine et la cuisse légère. Talleyrand ne l’ignorait pas. Comment aurait-il fait pour ne pas s’en rendre compte, d’ailleurs, puisque l’on dit que la belle enfant s’exhibait toujours sous des robes plus que transparentes !
Bonheur des yeux, elle ne manquait pas d’esprit. Ce qui mettait en joie le prince de Bénévent.
Un soir, dans un repas, alors qu’une princesse allemande de ses amies se plaint de n’avoir pu soutirer trois mots à son voisin – qui n’était autre que Talleyrand de mauvaise humeur –, elle lui répond :
— Que voulez-vous ! Il y a si longtemps qu’il ne dit plus de messes basses !
En revanche, il continuait de célébrer le culte du souvenir. En compagnie de nombre de ses anciennes maîtresses, devenues de vieilles amies. Charles Maurice avait donc son « sérail », pour reprendre le mot de madame de Rémusat. Il était hanté par la vicomtesse de Laval notamment, avec ses si « jolis yeux en culotte de velours », selon madame de Coigny.
— Madame de Laval ? ajoute Aimée, elle est la plus piquante, la plus gaie, la plus absolue et la moins bonne des femmes. Au fond, elle est la seule représentante de la gent féminine qui ait de l’emprise sur lui.
Il était hanté par la duchesse de Luynes qui partageait avec le maître de maison mille souvenirs de dîners, de tables de jeu et d’alcôves.
Des souvenirs d’avant 1789, du temps où elle était svelte !
— Car elle était maintenant bâtie comme un gendarme, observe la comtesse Potocka, mise comme la femme la plus vulgaire. Elle jouait avec rage, avait une voix de stentor et riait fort aux éclats.
Étonnante duchesse de Luynes, née Montmorency, qui se prénommait joliment Guyonne et qui pouvait se permettre de déclarer haut et clair que Napoléon n’était pas autre chose qu’un « palefrenier ivre » !
Au vrai, le sérail du sultan Talleyrand était aussi un harem dans lequel certains grands officiers étaient parfois conviés. On songe à l’inévitable et spirituel complice de longue date, le cher Montrond, muscadin autrefois tant chéri d’Aimée de Coigny.
Charles Maurice appréciait l’esprit de Montrond qui était si proche du sien, c’est-à-dire persifleur à souhait.
— Ce qu’il y a de plus criminel au monde, c’est un sot, disait Montrond.
On dirait du Talleyrand !
Un de ses complices de tripot arrive un soir en larmes et tout de noir vêtu.
— Que vous arrive-t-il, mon bon ?
— J’ai perdu ma femme.
— Ah, au lansquenet ?
Une vieille duchesse chenue et rabougrie vient lui demander son obole pour les filles repenties.
— Si elles sont repenties, je ne leur donnerai rien. Si elles ne le sont pas, je ferai mes charités moi-même.
Arrivant à un dîner du prince, il lui lance :
— Je viens de traverser le jardin des Tuileries, et j’ai eu l’honneur d’apercevoir monsieur l’archichancelier qui s’archipromenait.
Montrond amusait Talleyrand.
Ce qui n’était pas le cas de la comtesse de Kielmannsegge qui avait fait irruption à l’hôtel du Diable boiteux en compagnie de la duchesse de Courlande.
— C’est une grande haquenée, disait d’elle le maître de maison.
— Cet homme a sans doute besoin du vice pour pratiquer la vertu, contre-attaquait la grosse Allemande.
Un
Weitere Kostenlose Bücher