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Talleyrand, les beautés du diable

Talleyrand, les beautés du diable

Titel: Talleyrand, les beautés du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel de Decker
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soir, avant de passer à la table de whist, Charles Maurice l’interpelle ainsi :
    — Que croyez-vous que la postérité pensera de moi ?
    — Que vous avez voulu être un homme autour de qui les opinions seront toujours disputées.
    Elle était grande et grosse, certes, mais aussi suprêmement intelligente.
    — Oui, c’est bien cela, lui répond-il un peu interloqué. C’est tout à fait cela. Je veux que pendant des siècles on continue à discuter sur ce que j’ai été, ce que j’ai pensé, ce que j’ai voulu...
    Évidemment, la modestie ne l’étouffait pas !
     
    Kelly est maintenant la grande absente de ces soirées qui se prolongent généralement jusqu’à l’aube. Et c’est tant mieux, au regard de son mari qui ne la désire plus. Autrefois, quand il aimait se laisser caresser par ses jolies mains expertes et s’abandonner contre son corps ferme et nerveux, il parvenait à oublier que « l’ex-femme du petit employé de Calcutta » était un peu niaise, qu’elle ne connaissait rien des traditions, des usages et des bonnes manières. Elle n’avait aucune conversation, elle se mettait à table avant ses invités, prétendait que la musique de chambre lui arrachait les oreilles ou bâillait sans retenue lorsqu’une réception s’éternisait. Mais qu’importait alors ! Le moelleux de ses seins ou la chute de ses reins étaient une si suave compensation.
    Aujourd’hui, elle était devenue mamelue et le creux du bas du dos s’était comblé de mauvaise graisse, toutes choses qui plaisaient sans doute à l’Espagnol San Carlos avec qui elle mettait à rude épreuve les lits de Valençay.
    Donc, loin de Paris et de la rue de Varenne.
    Où le mari de Kelly venait de tomber amoureux de la belle-mère de son neveu !
    — Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu sur terre une femme plus digne d’être adorée, avait-il déclaré en la voyant pour la première fois.
    Un coup de foudre pour le Diable boiteux !
    La mère et la fille partageaient le même joli prénom : Dorothée.
    Bien qu’elle fût quasiment quinquagénaire, la duchesse de Courlande devint alors bien vite la première dame des salons du « Prince enchanteur ».
    — La sultane favorite, même ! ironise la jeune comtesse Potocka, elle-même maîtresse de Charles de Flahaut. Tout le monde briguait la faveur de lui être présenté. Elle avait des restes de beauté, on admirait ses toilettes élégantes et ses diamants. Son vieil adorateur l’attendait toujours et la contemplait avec une admiration propre à faire mourir de jalousie tout son sérail.
    — Le prince de Bénévent est réellement tombé amoureux de la blanche et svelte duchesse de Courlande, confie alors lady Yarmouth à son amant. Rien ne semble le captiver autant que la vieillesse, car toutes ses amours sont de véritables antiquités.
    L’amant de lady Yarmouth n’était autre que le fameux Casimir Montrond. Connaissant son humour, on peut être sûr qu’il apprécia fort la réflexion de sa maîtresse anglaise.
    À laquelle, entre deux éclats de rire, il prit tout de même le temps de faire un enfant, un fils qui restera célèbre sous le nom de lord Seymour, alias « milord l’Arsouille ».
    — Le prince de Bénévent est présentement amoureux d’une relique, d’un grand débris, observe cruellement de son côté le prince Clary.
    — Non, s’insurge la malicieuse Potocka, Son Altesse sérénissime la princesse de Courlande mérite bien quelques succès tardifs.
    Mais qu’importaient les mauvaises langues puisque Charles Maurice aimait Dorothée mère. Et quand on aime, on ne compte pas... les rides.
    Dès qu’il était contraint de s’éloigner d’elle, il lui écrivait. Il lui écrira ainsi des dizaines de lettres, toutes plus émouvantes les unes que les autres : « Donnez-moi quelques-uns de vos souhaits et quelques-unes de vos prières... Comme j’aimerais être dans votre maison que l’on dit chaude et charmante... Chaque jour on trouve une raison de plus pour vous aimer... Je trouve tout supportable quand je suis près de vous. Vous ! Vous ! Vous ! Voilà ce que j’aime le plus au monde... » Et toutes ces lettres-là s’achevaient invariablement par ce leitmotiv : « Adieu, mon ange, je vous aime et vous embrasse de toute mon âme. »
    Il en avait donc une ?
    Le 24 juin de 1809, sa mère, Alexandrine Damas d’Antigny, rendait la sienne à Dieu. Elle avait quatre-vingts ans. Il ne la voyait pas

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