Talleyrand, les beautés du diable
ému jusqu’aux larmes, il avait ajouté :
« Je ne crois pas qu’il y ait eu sur terre une femme plus digne d’être adorée. »
Ne serait-ce que parce qu’elle avait engendré un superbe petit brin de femme qui, arrivé à vingt-huit ans à peine, acceptait de vivre avec lui alors qu’il en comptabilisait soixante-sept bien remplis !
D’un décès l’autre, la série noire continuant, en octobre de la même année 1821, ce fut son vieil oncle octogénaire, l’archevêque de Paris, le cardinal de Talleyrand-Périgord, qui entra pour la dernière fois dans sa cathédrale de l’île de la Cité.
Après avoir vivement supplié son terrible neveu de revenir à la religion.
— Votre coeur n’en a jamais été éloigné parce que vous êtes honnête.
Croyait-il vraiment ce qu’il disait ?
Mais peut-être avait-il senti que l’apostat de la famille avait malgré tout conservé « un lambeau de soutane collé au corps ».
En décembre, triste loi des séries, l’homme à la faux s’abattit sur sa vieille complice madame de Rémusat, cette charmante et délicieuse confidente qui avait un jour osé lui lancer :
— Bon Dieu ! quel dommage que vous vous soyez gâté à plaisir ! Car, enfin, il me semble que vous valez mieux que vous...
Si la rubrique nécrologique se noircit autour de lui, de son côté Charles Maurice semble toujours conserver mauvais pied bon oeil.
Entrant un jour parmi les premiers à la Chambre des pairs, avec quelques-uns de ses contemporains qui étaient, comme lui, d’anciens membres de l’Assemblée constituante, il s’écrie tout guilleret :
— C’est nous qui sommes encore les plus jeunes, aujourd’hui !
Parmi les véritables jeunes loups de la politique du temps, il en est un qui attira particulièrement son attention. Il était convaincu que ce jeune homme de vingt-six ans, un Marseillais volubile à la voix pointue, incarnait l’avenir de la France.
— C’est un gamin qui a le feu sacré.
Peut-être était-il un peu trop exubérant. Il lui fit alors remarquer que la démesure n’était pas une bonne méthode :
— Tout ce qui est exagéré est insignifiant, monsieur Adolphe Thiers, lui dit-il.
Il s’agissait, en effet, bien de ce petit bonhomme, chef d’État en puissance.
À propos de Thiers, un jour, devant lui, quelqu’un prononce le mot de parvenu .
— Vous avez tort, dit-il, Thiers n’est point parvenu , il est arrivé .
Le jeune méridional était toujours très attentif aux propos du vénérable Talleyrand. Parfois, cependant, il paraissait excédé :
— Mon prince, vous ramenez toujours la conversation sur les femmes, j’aimerais bien mieux parler politique.
— Mais les femmes, monsieur, c’est la politique !
Une autre fois, prenant toujours l’historien de la Révolution française pour confident, Charles Maurice expliqua :
— J’ai été pendant trente ans un des hommes les plus haïs d’Europe et dans le même temps j’ai toujours été soit au pouvoir, soit près d’y revenir...
Et s’il y revenait une nouvelle fois, encore, puisque Louis XVIII était maintenant à l’agonie ?
L’épais podagre était même si mal en point qu’au début de septembre de 1824, Charles Maurice se vit contraint d’écourter sa saison de Bourbon-l’Archambault. En qualité de grand chambellan il se devait d’être aux Tuileries pour veiller sur le gros malade.
— Mais aussi, quel étonnant spectacle ! raconte un chroniqueur qui, manifestement, ne portait pas Charles Maurice dans son coeur. Quel terrible face-à-face que celui du roi moribond et du vieillard momifié ! Et la mort qui semblait se réjouir de ce spectacle que donnaient ces deux débris d’un autre siècle et d’un autre monde.
Quelle éprouvante promiscuité, surtout, pour l’homme au pied bot qui devait rester debout pendant des heures au chevet de l’obèse « fils de Saint Louis » !
— D’autant que malgré son âge et son infirmité, il était tenu de rendre au roi les soins les plus pénibles et les plus dégoûtants, s’offusqua Dorothée. Voilà plus qu’il n’en fallait pour me faire craindre pour sa santé.
Et puis arriva enfin le 16 septembre.
— Le roi est mort ! Vive le roi !
Le nouveau roi – Charles X –, le frère cadet du précédent, puisque le ventripotent défunt n’avait jamais été en mesure d’arrondir la taille de son épouse Marie Joséphine Louise de Savoie, allait-il faire appel à
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