Talleyrand, les beautés du diable
À la suite de quoi, balafré et dépité, à défaut d’une carrière conjugale, il avait décidé de continuer sa carrière militaire.
Donc, avec Edmond, il n’y avait pas péril en la demeure.
Restait Dorothée I.
Comment allait-elle réagir lorsqu’elle apprendrait que son amant avait décidé de vivre maritalement avec sa fille ?
Mal.
Elle cria, pleura, s’apaisa, bouda, s’éloigna – on le comprend ! – et, le temps cicatrisant, elle finit par jouer à la tendre amie, à la confidente de cet ex-amant devenu le compagnon des jours et des nuits de sa jolie progéniture.
Pas de tous les jours ni de toutes les nuits cependant.
Avant de se mettre en ménage quasiment incestueux avec son oncle, la duchesse de Dino avait posé ses conditions. Du moins avait-elle laissé entendre que si une belle occasion se présentait, en la personne d’un sémillant diplomate ou d’un fringant gentilhomme par exemple, elle serait autorisée à disparaître le temps de vivre une aventure.
Avec Clam et Trauttmansdorff, elle avait pris goût aux beaux jeunes gens, à la chair fraîche et nerveuse. Le moment venu il ne faudrait donc pas lui en vouloir...
Il ne lui en voulut pas.
Il y eut désormais entre eux un modus vivendi.
Et cela valut mieux car Dorothée n’avait vraiment rien d’une colombe effarouchée.
Est-ce qu’un soir, par exemple, alors que le grand chambellan recevait un jeune séminariste intimidé, elle ne s’est pas installée devant la cheminée où ronflait un bon feu de bûches ? Est-ce qu’elle ne s’est pas subitement retournée pour présenter au foyer les deux excroissances potelées de sa personne que l’on n’est guère accoutumé à exhiber dans une soirée ?
Stupéfaction du petit collet !
— C’est la mode russe, commenta paisiblement Charles Maurice en constatant que sa croquante amante ne faisait pas plus de cas du petit ecclésiastique qu’une princesse des bords de la Neva n’en aurait fait d’un malheureux moujik.
Dorénavant, et pour les vingt-deux années qu’il lui restait à vivre, Charles Maurice feindra donc d’ignorer les fantaisies de Dorothée.
Et Dieu sait qu’elle n’en fut pas avare !
Il n’y eut pas que des petites soutanes timorées pour avoir l’occasion d’admirer les parties charnues de sa délicieuse anatomie.
Ses maternités rapprochées en sont la preuve.
Et Charles Maurice savait bien qu’il ne pouvait pas toutes les assumer.
Car elle accoucha fréquemment, Dorothée de Dino, ce qui prouve ses nombreuses distractions.
Penchons-nous seulement sur son livret de famille. Qu’y voit-on ?
Il y a d’abord l’aîné, Napoléon Louis, futur troisième duc de Talleyrand-Périgord dont Edmond est vraisemblablement le géniteur. Il y a aussi Alexandre Edmond qui héritera un jour le titre de duc de Dino et qui mourra à la veille du XX e siècle après avoir épousé Marie-Valentine de Sainte-Aldegonde. Il y aura Pauline, également, pour laquelle, comme on va le voir, le mari officiel sera sommé de revendiquer la paternité.
Et il y en aura quelques autres dont les noms ne figureront pas dans la grande généalogie familiale des Périgord.
À commencer par la petite Marie-Henriette des Salles, « née de père et mère inconnus », baptisée le 15 septembre de 1816, non loin de Bourbon-l’Archambault, soit un peu plus de huit mois après le retour en France de « madame Edmond », comme l’appelait Kelly. Ce poupon-là fut simplement confié à de pauvres laboureurs vivant aux Salles, un petit bourg de ce qui est aujourd’hui le département de la Loire.
D’où son patronyme, évidemment.
Quelques années plus tard, comme par mégarde, à l’occasion d’un séjour à Bagnères-de-Bigorre, la belle Dorothée au sang chaud mettra au monde un nouveau rejeton, qui ressemblait trait pour trait au sieur Piscatory que neuf mois plus tôt elle avait trouvé fort séduisant. Théobald Émile Piscatory, un pimpant jeune homme de vingt-six ans, était le fils adoptif du châtelain de Chérigny, en Touraine, autant dire un voisin de Valençay.
Et chacun sait que la proximité crée des liens...
Antonine Dorothée Piscatory – car il s’agissait d’une fillette – fut élevée par ses grands-parents au château de Chérigny.
Ce n’est pas le fruit du hasard si elle portait le prénom de Dorothée.
Certains colporteurs de ragots affirment méchamment que, lors d’un séjour à Hyères, elle accoucha encore
Weitere Kostenlose Bücher