Talleyrand, les beautés du diable
d’un autre bambin que l’on disait être le résultat d’une grosse caresse un peu trop nerveusement dispensée par l’élégant comte de Mornay. Mais faut-il croire ces méchantes langues qui mettaient cela sur le compte de « la fatale maladie de neuf mois » dont elle souffrait chroniquement ?
— Lorsque la duchesse de Dino se trouvait dans une position délicate, sourit Frédéric Masson, Talleyrand disparaissait avec elle pour quelques semaines. Il présidait à l’accouchement en secret. Et puis, quand sa nièce était rétablie... il en avait l’étrenne.
Avec Pauline, il eut aussi l’émotion.
Elle était née le 29 décembre de 1821.
Durant toute la grossesse de Dorothée, Charles Maurice savait bien – et à l’origine il avait été sans doute mieux placé que quiconque ! – que le bébé à naître serait un ou une Périgord.
Il en était à ce point convaincu qu’il avait poussé le luxe jusqu’à demander à Edmond – qui demeurait encore le mari officiel de la future maman – de simuler un torride retour d’affection pour son épouse légitime.
C’est en bougonnant que le neveu avait alors quitté sa garçonnière de la rue d’Aguesseau pour venir s’installer quelque temps chez l’oncle, à Saint-Florentin.
Mais on imagine leur terrible entretien préalable.
— Mon neveu, votre femme est grosse de mes oeuvres.
— Diable !
— Vous allez donner votre nom – le mien ! – à cet enfant qui va voir le jour.
— Mon oncle !
— N’êtes-vous pas l’héritier présomptif de mes titres et de mes biens ? Si vous acceptez, je propose non seulement d’éponger toutes vos dettes mais aussi de vous obtenir le titre de grand officier de la Légion d’honneur.
Dans ces conditions, Edmond se soumit.
Il est vrai qu’entre deux garnisons il passait sa vie à remplir le tonneau des Danaïdes et il aimait faire cliqueter les médailles sur son torse bombé.
Le jour viendra bientôt, d’ailleurs, où Charles Maurice, « le sorcier », conseillera à sa « douce amie » de se séparer officiellement – au moins de biens – de son flambeur de neveu.
Comme il l’avait été avec Charlotte, probable fruit de ses amours avec Kelly, l’ancien évêque d’Autun devint rapidement gâteux de la petite Pauline, sa « Minette », ainsi qu’il aimait à l’appeler tendrement, ou son « ange du foyer », celle qui sera considérablement nantie le jour où il en viendra à rédiger son testament.
Pendant que Dorothée jouait les parturientes à répétition, le général Dessoles avait remplacé Richelieu au ministère, Decazes avait hâtivement succédé audit Dessoles, Louis XVIII grossissait à vue d’oeil et parlait toujours de se faire couronner à Reims ; après avoir épuisé un dernier amant, Germaine de Staël était « enfin froide » ; le duc de Berry, héritier du trône, se faisait assassiner sur les marches de l’Opéra ; Chateaubriand n’en finissait pas de verser son fiel ; Lamartine publiait ses Méditations , un ouvrage fort goûté par le châtelain de Valençay, et Napoléon mourait à Sainte-Hélène.
Charles Maurice dînait chez son amie madame de Crawford, un soir de juillet de 1821, quand on était venu annoncer la nouvelle de la mort de l’Empereur.
Une nouvelle qui était déjà vieille de plus de deux mois puisque le prisonnier de Sainte-Hélène avait rendu son âme – à Dieu ? – le 5 mai précédent.
C’est ce jour-là, en effet, que Napoléon avait retrouvé dans l’au-delà les millions de morts des champs de bataille qui avaient été utiles à sa gloire.
— Ah ! mon Dieu ! Quel événement ! s’était exclamée la maîtresse de maison à la limite des pâmoisons.
— Non, madame, détrompez-vous, lui avait répliqué Charles Maurice, paisiblement, comme il savait le faire, ce n’est plus un événement, c’est une nouvelle.
Il fut accablé, en revanche, un mois plus tard, alors qu’il passait quelques beaux jours d’été à Valençay, en apprenant que Dorothée I, elle aussi, en avait fini d’avec la vie. Dans sa dernière lettre, apprenant qu’elle était fort souffrante il lui avait confié :
« Je n’ai peut-être jamais senti autant combien je vous suis attaché. Vous êtes si bonne, vous savez si bien protéger, donner, que tout ce qui vous connaît doit vous adorer. Adieu, Ange de bonté et de douceur... »
Puis, en se penchant sur une miniature qu’il gardait d’elle,
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