Tarik ou la conquête d'Allah
flanqué d’un adjoint, Abdallah
Ibn Kulaib Ibn Thalaba, qui avait des yeux et des oreilles partout et qui
n’hésitait pas à faire arrêter ceux qu’il soupçonnait de complots. Fin
politique, il se lia d’amitié avec Aurelius, lui révélant qu’il savait tout de
sa correspondance avec Louis le Pieux et, pour lui prouver sa bonne foi,
détruisit sous ses yeux tous les documents compromettants. Dès lors, il n’eut
pas de meilleurs alliés que les Nazaréens.
Après la mort de l’infirme Abdallah
à Balansiya, l’émir annexa purement et simplement ses domaines ainsi que le
pays de Tudmir, déchiré par les guerres incessantes entre Arabes yéménites et
mudarites. Ello, la capitale, fut rasée et, pour la remplacer, le wali Djabir
Ibn Malik Ibn Labid édifia une nouvelle ville, Mursiya [96] , où il attira,
moyennant des exemptions fiscales pour une période de dix ans, de nombreux
artisans juifs, chrétiens et muwalladun qui contribuèrent à la prospérité de la
cité.
Chassés de Marida, Suleïman Ibn
Martin et Mahmud Ibn Abd al-Djabbar se querellèrent et choisirent de
poursuivre, chacun de son côté, leur lutte contre les autorités de Kurtuba. Le
premier s’installa dans le Nord, à proximité de la Djillikiya chrétienne et fut
tué en 219 [97] . Son beau-frère tenta de se tailler un fief sur les bords de la mer mais en fut
délogé. Contraint de chercher asile auprès d’Alphonse II, il reçut bon
accueil et la garde du château fort d’Alqueria. En agissant de la sorte, le roi
chrétien rompait la trêve tacitement observée depuis une dizaine d’années avec
son puissant voisin et le paya chèrement.
Abd al-Rahman envoya contre lui
trois colonnes, l’une placée sous le commandement de son oncle, Walid Ibn
Hisham, et les deux autres confiées à ses frères Saïd al-Khair et Umaiya. Des
milliers de Chrétiens désertèrent leurs terres pour trouver un asile provisoire
dans des grottes à flanc de montagne où la famine et les maladies exercèrent de
terribles ravages. Inquiet, Mahmud Ibn Abd al-Djabbar dépêcha un émissaire
auprès de Walid Ibn Hisham, lui offrant de lui livrer la forteresse dont il
avait la garde et de se retourner contre son protecteur. Mal lui en prit.
Alphonse II intercepta le message et vint mettre le siège devant le
château fort du félon. Celui-ci tenta une sortie. Affaibli par les privations,
il tomba de son cheval, fut fait prisonnier et exécuté quelques jours après. Sa
sœur, veuve de Suleïman Ibn Martin, eut la vie sauve car elle accepta d’abjurer
l’islam et d’épouser un aristocrate wisigoth, Gurdisalvus, dont elle eut
plusieurs enfants. [98]
Non sans mal, Abd al-Rahman avait rétabli
son autorité sur l’ensemble de son royaume et passa désormais pour l’un des
princes les plus puissants de l’Occident. Il en eut la confirmation éclatante
avec l’arrivée à Kurtuba d’une ambassade du basileus byzantin Théophile. Ce
dernier avait imprudemment déclaré la guerre au calife de Bagdad al-Mutasim et
ses troupes avaient été écrasées par celles du souverain abbasside. Il s’était
mis dans une situation pour le moins préoccupante et cherchait désespérément
des alliés. Il crut en trouver en la personne de Louis le Pieux, auquel il
demanda de l’aider à reconquérir les provinces byzantines de l’Italie qui
avaient fait sécession ou avaient été conquises par les Musulmans d’Ifrandja.
Là encore, le roi franc refusa de s’engager fermement, estimant qu’il pourrait
ajouter ces terres à ses domaines. Dans le même temps, l’empereur envoya à
Kurtuba un Grec, Kartiyus, qui parlait parfaitement l’arabe et aurait pu passer
pour un Musulman tant il était familier de leurs rites et coutumes.
Il impressionna plutôt favorablement
l’émir par le brillant de sa conversation et par ses talents de diplomate ainsi
que par les somptueux cadeaux dont il était le porteur, de riches soieries,
plusieurs traités de médecine grecque traduits en arabe, des fourrures et de
l’ambre venus d’un pays lointain, la Rus [99] ,
où il s’était rendu. À l’en croire, c’était une terre rude et glaciale,
recouverte par les neiges une partie de l’année et habitée par des guerriers
féroces dont certains étaient venus de contrées situées encore plus loin au
Nord, qui adoraient des dieux païens et leur sacrifiaient des êtres humains
avant de partir en expédition à bord de longs bateaux ornés d’une tête de
dragon
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