Tarik ou la conquête d'Allah
attaqué par mes
paysans. Le malheureux est mort. Ces idiots en voulaient à son argent et l’ont
stupidement tué pour le voler. Je leur ai laissé les pièces d’or qu’il avait
sur lui et ai gardé pour moi un véritable trésor.
— Pourquoi me dis-tu
cela ? Je n’ai rien à voir avec les assassins du Christ !
— Sauf lorsqu’ils sont à ton
service. Celui-ci était porteur d’une lettre qui t’était adressée et que j’ai
lue avec intérêt. J’ignorais que, dans notre ville, il se trouvait un notable
assez important pour correspondre avec le roi des Francs :
Aurelius se saisit de la missive et
la lut avec attention :
Nous avons entendu le récit de
vos tribulations et des nombreuses souffrances que vous endurez du fait de la
cruauté du roi Abd al-Rahman, lequel, avec la cupidité démesurée dont il fait
preuve pour vous soustraire vos biens, vous a fréquemment plongés dans
l’affliction, de la même manière que son père : ce dernier, en effet, en
augmentant injustement les tributs dont vous n’étiez pas débiteurs et en
exigeant leur paiement par la force, d’amis que vous étiez, vous transforma en
ennemis, de sujets obéissants en révoltés ; il chercha à vous enlever
votre liberté et à vous opprimer par de lourdes et iniques contributions. Mais
vous, à ce qui nous a été rapporté, vous avez toujours, en hommes courageux,
bravement résisté à l’injustice des rois iniques et à leur cruelle avidité.
Ainsi agissez-vous encore présentement, comme nous le savons par de nombreux
comptes rendus. C’est pourquoi nous tenons à vous adresser cette lettre, afin
de vous consoler et de vous exhorter à persévérer dans la défense de votre
liberté contre un monarque si cruel et dans la résistance que vous opposez à sa
fureur et à sa colère. Et parce qu’il n’est pas seulement votre ennemi, mais
aussi le nôtre, combattons d’un commun accord sa tyrannie ! Nous vous
proposons, avec l’aide de Dieu, d’envoyer l’été prochain notre armée dans notre
Marche ; elle y attendra nos ordres concernant le temps qu’elle devra
passer en avant de la frontière ; cela, dans la mesure où il vous paraîtra
bon que nous la dirigions à votre aide contre les ennemis communs qui
stationnent dans notre Marche. En effet, si Abd al-Rahman, avec ses colonnes,
désire partir vous attaquer, la présence de notre armée aux confins de son
territoire l’en empêchera. Et nous vous faisons savoir que si vous vouliez
émigrer et venir chez nous, nous ferions en sorte que vous puissiez jouir
pleinement de votre ancienne liberté, sans aucune diminution et sans
l’astreinte de nul tribut ; nous n’aurions pas la prétention de vous faire
vivre sous une autre loi que celle de votre choix ; vous ne seriez traités
que comme des amis et des confédérés, honorablement unis à nous pour la défense
de notre royaume. Dieu vous garde tels que nous le désirons !
Son interlocuteur ironisa :
— À ta mine déconfite, je
devine que tu attendais une réponse plus encourageante. Ce Louis est diablement
prudent. Il te comble de belles paroles, mais se garde bien de t’accorder les
secours que tu demandes. En fait, il te propose tout bonnement une seule
chose : de venir t’installer dans l’une de ses cités à condition que tu
amènes avec toi tes biens et ton or qu’il pourra confisquer un jour si bon lui
semble. N’hésite pas à suivre son conseil car c’est la seule occasion que tu
auras de voir les soldats francs que tu réclamais et qui attendent, de l’autre
côté de la frontière, sans avoir aucune intention de traverser celle-ci.
— Je vais être direct avec toi,
Suleïman. Qu’exiges-tu de moi ?
— Le soutien de tes semblables.
— Je ne comprends pas.
— Je vais donc t’éclairer. Vous
n’êtes pas les seuls à vous plaindre de la tyrannie d’Abd al-Rahman, pour
reprendre ton expression. Ses propres coreligionnaires sont excédés par son
comportement et par la manière dont il les traite. Nous en avons assez de
devoir nourrir et héberger les armées qu’il envoie, en vain, contre le roi
Alphonse. Kurtuba est loin, très loin, et le wali n’a pas assez d’hommes pour
réprimer une révolte de toute la population.
— Est-ce à dire que tu prépares
une insurrection ?
— Mon beau-frère, le
tout-puissant Mahmud Ibn Abd al-Djabbar, et moi-même estimons que le temps est
venu de nous tailler un domaine à la mesure de nos ambitions
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