Tarik ou la conquête d'Allah
et de nos mérites.
Nous sommes convaincus de notre réussite à la condition que les tiens se
joignent à notre mouvement ou ne le contrarient pas.
— Quel avantage y
trouverions-nous ?
— Assurément, ils sont
nombreux, fit Suleïman. Je n’ai qu’un mot à dire et une copie de cette lettre
sera mise sous les yeux du wali et sous ceux de l’émir.
— La mort ne me fait pas peur.
— Je le sais, mais tu ne seras
pas le seul à périr. Ta femme et tes enfants partageront ton sort et les
Chrétiens de cette ville paieront cher ta trahison, une trahison inutile
puisque les Francs n’ont aucune intention de venir se mêler de nos affaires.
— Admettons. Pourquoi
devrions-nous vous soutenir ?
— Parce que nous vous
garantissons l’assurance de vivre en paix et de pratiquer votre religion sans
être inquiétés.
— Nous avons déjà ce droit.
— À tel point que tu dois subir
le joug d’un tyran et tu n’as pas tort de le dire. Abd al-Rahman est le jouet
des foqahas qui l’excitent contre ceux qu’ils nomment « les
Infidèles ». Tes frères de Kurtuba en savent quelque chose. Leurs prêtres
doivent se livrer à mille ruses pour se procurer le vin nécessaire à la
célébration de vos offices.
— Je vois que tu n’as pas
oublié les rites de notre ancienne religion.
— Que je respecte et que je
vénère même si le fait d’être un muwallad m’ouvre des perspectives plus
séduisantes. Là n’est pas l’important. Nous devons agir et vite. Si vous
acceptez de reconnaître notre autorité, nous vous laisserons vivre comme vous
l’entendez sans avoir à payer pour cela un impôt particulier. Vous ne serez
soumis qu’aux seules taxes que nous lèverons sur chacun, en fonction de sa
fortune et non de sa foi. Bien entendu, il va de soi que toi et ta famille en
serez exemptés. Vous n’avez rien à craindre. Depuis l’échec de son expédition
contre l’Ifrandja, Abd al-Rahman n’a plus assez de troupes pour lancer de
nouvelles offensives et je sais, de source sûre, qu’il devra sous peu s’occuper
plus de Tulaitula que de notre cité. Cela nous laisse assez de temps pour nous
préparer à recevoir ses généraux quand ces imprudents décideront de marcher à
la mort.
— D’où te vient cette
certitude ? fit Aurelius.
— J’ai déjà trop parlé et tu
n’as pas besoin d’en savoir plus pour l’instant. Je me fie à ton intelligence
pour que tu prennes la décision la plus sage.
— Tu peux compter sur l’aide de
ma communauté. C’est un pari que je fais en priant le ciel de ne pas avoir à le
regretter.
Quelques jours plus tard, le wali de
Marida fut assassiné alors qu’il se rendait inspecter le marché et la plupart
de ses hommes choisirent de se rallier à Suleïman Ibn Martin et à Mahmud Ibn
Abd al-Djabbar pour éviter d’être mis en pièces par la foule.
Abd al-Rahman, averti de cette
reddition, décida de temporiser. La seconde ville du royaume, Tulaitula, dont
il avait tenté de protéger les habitants, avait chassé sa garnison. Elle était
désormais sous la coupe d’un aventurier d’origine modeste, Hashim. Batteur de
métal de son état, ce qui lui avait valu le surnom d’al-Darrab, « le Frappeur », il avait passé sa jeunesse à Kurtuba et détestait
son métier, passant le plus clair de son temps dans les tavernes avec la lie de
la population. Il avait été arrêté à plusieurs reprises et avait jugé
préférable de quitter la capitale pour gagner la grande cité du Nord où il
comptait de nombreux parents pour y fomenter une révolte.
Après avoir pillé les demeures des
fonctionnaires demeurés loyaux à l’émir, al-Darrab avait gagné la campagne
environnante et, changeant constamment de repaires, surgissait à l’improviste
pour attaquer les voyageurs ou brûler les hameaux berbères. Ses exploits
étaient largement commentés et ses partisans faisaient circuler le bruit qu’il
disposait de pouvoirs magiques le rendant quasi invincible. Il fallut près de
deux ans au général Mohammed Ibn Rustum pour parvenir à s’emparer de lui et lui
appliquer le châtiment réservé à tous les rebelles, la crucifixion. Ce danger
écarté, le souverain se résolut à envoyer une expédition contre Marida, dont
les habitants se hâtèrent de négocier leur soumission. Moyennant le versement
d’une énorme amende, ils obtinrent leur pardon et furent désormais étroitement
surveillés par le nouveau wali, Harith Ibn Bazi,
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