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Tarik ou la conquête d'Allah

Tarik ou la conquête d'Allah

Titel: Tarik ou la conquête d'Allah Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Girard
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appelé à avoir un grand
succès [115] .
    Zyriab avait d’autres cordes à son
arc. Il avait été horrifié de découvrir la médiocrité et la fadeur des plats
servis au palais ainsi que le désordre dans lequel ceux-ci étaient apportés.
Les convives affamés, tels des goinfres, avalaient indistinctement tout ce qui
était à portée de leurs mains. Il convia l’émir à un banquet dont il avait
minutieusement mis au point le menu. Celui-ci consistait en potages, suivis de
plats de viandes et de volailles auxquels succédèrent des plats sucrés, des
gâteaux de noix, d’amandes et de miel, ainsi que des pâtes de fruits vanillées,
fourrées de pistaches et de noisettes. Entre les entrées et les relevés, il fit
déposer dans les assiettes un légume totalement inconnu d’eux. Devant leur air
embarrassé, il leur expliqua comment il fallait manger les asperges. Ayant
apprécié ce mets, le poète Yahya al-Ghazal improvisa un poème en son
honneur : « Nous possédons des lances dont la pointe se
recourbe ; elles sont tordues et hérissées comme des cordes, mais belles
et sans nœud. Leur tête est proéminente sur leur tige. Un dévot et un grave
docteur, voyant ce plat délicieux, se prosterneraient avec convoitise et
rompraient le jeûne pour savourer pareil régal. »
    Zyriab aimait à dire que le décor
constituait l’élément essentiel de la réussite d’un festin. Il substitua aux
nappes de lin grossier, héritées des Wisigoths, des dessus de tables en cuir
très fin qui devinrent la spécialité, très recherchée, des tanneurs de Kurtuba.
La vaisselle était importée d’Orient et le musicien affectionnait particulièrement
les plats ornés de motifs géométriques compliqués ou de vers soigneusement
calligraphiés. Ce soir-là, il pouvait d’ailleurs constater qu’al-Shi’fa s’était
scrupuleusement conformée à ses instructions : il regardait d’un air ravi
les invités déguster à petites bouchées les mets exquis qui étaient servis et
se rincer les doigts après chaque plat grâce aux aiguières apportées par les
esclaves.
    Contraints de modifier leurs
habitudes alimentaires, les courtisans payaient très cher, selon Yahya
al-Ghazal, le « droit de mourir de faim en se contentant de portions
congrues ». En quelques années, leur silhouette s’était considérablement
affinée. On ne voyait presque plus de ces personnages gras et replets qui
parcouraient jadis, essoufflés, les couloirs du Dar al-Imara. Désormais, si
l’on voulait plaire à l’émir et avoir une bonne chance d’attirer son attention,
il convenait d’être mince et élancé. Dans l’une de ses nombreuses demeures en
ville, Zyriab avait installé un hammam où, à tour de rôle, hommes et femmes se
pressaient pour se livrer aux mains de masseuses et de masseurs expérimentés et
d’esclaves qui leur apprenaient à s’épiler, à se farder et à utiliser des pâtes
pour conserver à leurs dents leur blancheur. En ce qui concernait la coiffure,
Zyriab avait édicté pour les hommes des règles très sévères. N’étaient admis
dans son établissement que ceux qui portaient les cheveux courts et arrondis,
dégageant la nuque, le front et les oreilles. C’en était fini de ces êtres
hirsutes à la tête surmontée, selon Yahya al-Ghazal, « d’une crinière de
cheval luisante d’huile et de graisse ».
    À proximité de ce hammam, le palais
avait ouvert des ateliers, dirigés par Harith Ibn Hazm, ayant le monopole de la
fabrication de somptueuses tuniques au chiffre de l’émir dont le port était
recommandé à la cour. Leur couleur variait selon les saisons. De juin à fin
septembre, il était d’usage de se vêtir de blanc. Les tons clairs et chatoyants
étaient réservés au printemps cependant qu’en hiver, tout courtisan soucieux de
sa respectabilité s’emmitouflait dans des pelisses ouatées et des manteaux de
fourrure.
    Abd al-Rahman avait encouragé toutes
les initiatives de son musicien car elles profitaient à ses finances. En
quelques années, Kurtuba était devenue une place commerciale de première
importance, ce qui s’était traduit par une augmentation sans précédent des
rentrées fiscales. Les négociants juifs, francs et orientaux s’y rendaient
fréquemment. Ils étaient assaillis par une foule d’acheteurs désireux de se
procurer, avant leurs rivaux, les dernières nouveautés et les produits les plus
rares, notamment les épices, les fourrures de castor et de

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