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Tarik ou la conquête d'Allah

Tarik ou la conquête d'Allah

Titel: Tarik ou la conquête d'Allah Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Girard
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apercevoir, non loin de lui, tous ceux auxquels il
avait fait allusion et dont il avait toujours recherché l’amitié. Il aimait
particulièrement le poète Abdallah Ibn al-Shami, ami d’enfance de l’émir, qui
avait toujours refusé de quitter Kurtuba en dépit des offres alléchantes de la
cour de Kairouan. Il avait composé le libellé du sceau du souverain :
« Abd al-Rahman est satisfait du décret d’Allah ! » Jusque-là,
la formule officielle était : « Abd al-Rahman a confiance en Allah et
c’est à Lui qu’il est attaché ! » Abdallah Ibn al-Shami avait fait
remarquer à son ancien compagnon de jeux que sa version donnerait infiniment
plus de poids à ses lois en les assimilant à des commandements divins. De la
sorte, seraient réputés mécréants et infidèles ceux qui oseraient y contrevenir.
Le souverain avait longtemps hésité car il avait des scrupules et il avait
consulté le fqih Yahya Ibn Yahya al-Laithi pour savoir si ce texte n’était pas
sacrilège. Le chef religieux, flatté de cette attention, l’avait rassuré :
    — Toute loi émane d’Allah et je
n’en reconnais pas d’autre. C’est donc avec raison que tu Le remercies de
t’avoir inspiré, dans Sa sagesse, tel ou tel décret. La formule ancienne était,
à mes yeux, suspecte. Tu te montrais bien orgueilleux en affirmant de manière
péremptoire que tu étais l’humble serviteur du Seigneur. C’est à Lui et non à
toi de le décider. C’est pour cette raison que je me suis opposé jadis à ton
père, au péril de ma vie.
    — Je me souviens en effet que
tu n’as pas craint de propager tes idées auprès des habitants du Faubourg.
    — J’avais le devoir de le faire
et rien ne m’aurait arrêté.
    — Si ce n’est la hache du
bourreau !
    — Dieu ne l’a pas voulu.
    — Disons qu’en la matière, il
s’est servi d’un Juif comme exécutant de Sa volonté.
    — Je n’oublie pas la générosité
de cet homme dont j’avais pourtant insulté les frères. J’ai eu depuis
l’occasion de lui prouver ma gratitude.
    Ayant obtenu l’agrément de Yahya Ibn
Yahya al-Laithi, Abd al-Rahman avait donc adopté le texte rédigé par Abdallah
Ibn al-Shami.
    Ce soir-là, dans les jardins de
l’Alcazar, il le fit asseoir à ses côtés et invita également son poète favori,
Ibrahim Ibn Suleïman al-Shami, à venir les rejoindre. L’homme se fit prier
avant d’accéder à la requête de l’émir. Dans sa jeunesse, il avait mené une
existence passablement dissipée en Orient. Il avait fréquenté le poète Abu
Nawass, connu pour ses vers libertins où il faisait l’éloge du vin, des éphèbes
imberbes et des hérésies les plus abominables. Ce Persan, dont la mère était
tenancière de bordel, lui avait présenté son maître, Waliba Ibn Habbab, encore
plus débauché que lui. Les trois compères, bénéficiant de la protection
d’Haroun al-Rashid, avaient scandalisé Bagdad par leur inconduite jusqu’à ce
que l’un de ses riches admirateurs invite al-Shami à l’accompagner à La Mecque.
Là, le mécréant, frappé par la ferveur des pèlerins, avait abjuré ses erreurs,
brûlé ses écrits antérieurs et résolu de s’expatrier en Ishbaniyah pour
participer à la guerre contre les Nazaréens. Installé dans un château fort près
de Sarakusta, il consacrait ses rares loisirs à composer des hymnes mystiques.
Il comparait ce bas monde à une toile d’araignée dans laquelle les hommes,
victimes de leurs péchés, étaient retenus prisonniers. Sa réputation de piété
avait fini par parvenir jusqu’aux oreilles d’Abd al-Rahman et celui-ci l’avait
tiré de sa retraite pour lui confier l’éducation de ses fils. Mohammed,
Abdallah, al-Mutarrif et al-Mundhir avaient donc eu pour précepteur cet être
austère dont le savoir était aussi grand que la sévérité. Il s’était fait aider
par un grammairien, Uthman Ibn al-Muthamma, qui s’était retiré auprès de lui.
Les deux hommes s’étaient acquittés avec brio de leur mission et, celle-ci
terminée, avaient regagné leur repaire. Ibrahim Ibn Suleïman al-Shami avait
toutefois accepté de venir chaque année à Kurtuba pour réciter devant l’émir
les hymnes qu’il avait composés. Par chance, il se trouvait dans la capitale
quand al-Shi’fa avait décidé d’organiser la fête et il était assez fin
politique pour savoir que son absence pourrait être mal interprétée. Il avait
donc décidé d’assister à la soirée même

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