Tarik ou la conquête d'Allah
tente personnelle où elle se languit
sûrement de ta visite.
L’émir ne fut pas dupe de cette
réponse. La mère du prince Abdallah n’avait pas caché sa colère en apprenant
que sa rivale avait reçu en cadeau le fabuleux collier qu’elle estimait devoir
lui revenir de droit. Le palais avait retenti de ses imprécations et ses
servantes, apeurées, se cachaient, sachant qu’en de telles circonstances, leur
maîtresse chercherait à se venger sur elles de sa déconvenue. Dès que Tarub
avait été mise au courant des préparatifs de la fête, elle s’était ingéniée à
décourager par tous les moyens les efforts d’al-Shi’fa. Ses eunuques avaient
offert des gratifications aux artisans pour qu’ils refusent d’exécuter les
commandes qui leur avaient été passées. Malheureusement pour elle, elle était
moins bonne cliente que son ennemie et méprisée parce qu’elle marchandait
âprement les prix et n’hésitait pas à faire arrêter ceux qui refusaient de
vendre à perte ou pour un trop maigre bénéfice ce que d’autres étaient prêts à
acheter au prix fort. Furieuse de l’échec de ses manœuvres, elle avait tenté de
faire prévenir le souverain de la surprise qu’on lui réservait. Heureusement,
al-Nasr avait des oreilles partout et les messagers avaient été interceptés à
temps. Sous peine d’être exécutés, ils avaient dû jouer la comédie et annoncer
à la princesse qu’ils avaient rempli leur mission. Constatant que les travaux
continuaient malgré tout, elle avait recruté dans les bas-fonds de Kurtuba la
pire des engeances pour incendier les entrepôts où étaient disposés les tentes
et les vivres. Quelques têtes clouées à la Porte neuve attestaient que les
traîtres avaient été démasqués. Leurs compères, avertis des dangers qu’ils
couraient, avaient copieusement rossé les espions venus acheter leurs services.
Tarub avait alors tenté de gagner à
sa cause le hadjib Mohammed Ibn Rustum, lui expliquant que rien ne serait plus
facile à Ramiro I er que de placer dans l’assistance des tueurs à sa
solde. À l’en croire, le maire du palais, en n’interdisant pas la fête, prenait
des risques démesurés dont il aurait, en cas de malheur, à rendre compte au
nouveau souverain, son fils Abdallah. L’intéressé avait hoché la tête et
murmuré quelques paroles aigres-douces prouvant à son interlocutrice qu’il
n’était pas dupe des raisons de sa démarche ni de ses tentatives d’engager la
lie de la populace. Finalement, la princesse avait dû se rendre à l’évidence
et, dissimulant sa déconvenue, s’était rendue chez son ennemie pour lui
annoncer qu’elle assisterait à la fête à condition de ne pas subir
l’humiliation d’être mêlée aux autres épouses et favorites. C’est pour cela
qu’une tente lui avait été réservée. Jusqu’à l’arrivée d’Abd al-Rahman, les
épouses des courtisans prenaient soin de passer au large, de peur d’être
remarquées en compagnie de Tarub. L’émir eut un entretien orageux avec
elle :
— Cette soirée est merveilleuse
et tu la gâches par ta bouderie imbécile.
— Noble seigneur, j’essaie de
faire bonne figure et tu remarqueras que j’ai tenu à être présente.
— Parce que tu n’avais pas le
choix. Dans le cas contraire, j’aurais ordonné à al-Nasr d’aller te chercher.
Quelle honte aurait été la tienne d’arriver, escortée de fityan
menaçants ! J’imagine l’ingéniosité que tu as déployée pour empêcher la
tenue de cet événement.
— Au contraire…
— N’ajoute rien. Tu mens mal et
cela s’entend. Je suis las de tes perpétuelles criailleries et de tes intrigues
dont je suis informé par certaines de tes domestiques. Oui, je te fais
espionner et j’ai de bonnes raisons. Il n’est pas un seul portefaix en ville
qui ne sache que tu nourris l’espoir que ton fils soit appelé à me succéder.
— Peux-tu reprocher cela à une
mère ?
— Abdallah a beaucoup de
qualités. C’est un excellent général, loyal et compétent. Ses hommes l’adorent
et il a toute ma confiance. Il n’a qu’un seul défaut, celui d’être ton fils.
— Je ne puis donc espérer qu’il
sera un jour ton héritier.
— Cela suffit. Si Allah me
l’accorde, j’ai devant moi de longues années à vivre. Je n’ai pas encore décidé
lequel de mes fils sera le plus digne de prendre ma place. Certaines plaintes
risquent de peser sur mon jugement, tiens-le-toi pour
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