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Tarik ou la conquête d'Allah

Tarik ou la conquête d'Allah

Titel: Tarik ou la conquête d'Allah Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Girard
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villages étaient, depuis des années, privés de desservants.
Quant aux évêques, à deux ou trois exceptions près, plutôt que de se soucier
des affaires de leurs diocèses, ils faisaient une cour assidue au wali local et
certains paraissaient offusqués quand on leur demandait de célébrer une messe,
tâche qu’ils estimaient être indigne de leurs hautes fonctions.
    Promenant un regard usé sur
l’assistance, Isaac conclut :
    — Je vous ai convoqués pour
discuter avec vous des moyens de mettre le renégat Bodo hors d’état de nuire.
Ce ne sera pas facile, car il entretient d’excellentes relations avec Mohammed
Ibn Rustum. Quand j’ai fait remarquer au hadjib que sa venue pouvait susciter
des troubles, il m’a ironiquement demandé si je craignais de perdre tous mes
fidèles avant d’ajouter : « Qu’ils deviennent juifs ou restent
chrétiens, peu importe ! Ils doivent payer l’impôt ! »
    — Quelle impudence de la part
de cet Ismaélite ! s’exclama Euloge.
    — Je me suis gardé d’insister
de crainte de provoquer son courroux. De retour chez moi, j’étais tellement
furieux que, sous le coup de la colère, je lui ai écrit une lettre dans
laquelle j’annonçais mon intention de renoncer à ma charge et de me retirer à
Tabanos pour y passer mes dernières années en prières.
    La stupeur frappa l’assemblée. Leur
protecteur, le Chrétien le plus influent à la cour, s’était démis de ses
fonctions. Pareil défi pouvait être interprété comme une rébellion et valoir à
son auteur la mort. Paul Alvar fut le seul à oser prendre la parole :
    — Rassure-nous. Le hadjib t’a
envoyé des présents pour s’excuser de s’être laissé emporter et tu es toujours
notre comte ?
    — Non. J’ai reçu une lettre
m’informant qu’à partir de ce jour, Cornes, fils d’Antonien, cet intrigant que
vous connaissez tous, me remplace. C’est un tiède et un mou et je vous mets en
garde contre ses agissements. Mohammed Ibn Rustum m’a aussi fait savoir que
l’émir ne faisait pas obstacle à ce que je me retire à Tabanos à condition de
ne plus jamais en sortir.
    — C’est une forme d’exil,
s’indigna Euloge.
    — Qui m’est infiniment plus
agréable que de devoir passer mes journées à la cour au milieu de tous ces
mécréants. Grâce à Dieu, en tant que dhimmi, je n’ai pas eu à paraître lors de
la honteuse fête organisée par al-Shi’fa. La princesse m’a annoncé qu’elle
comptait prochainement organiser des réjouissances en notre honneur et j’ai
réservé ma réponse. Cornes se fera un plaisir d’aller parader à l’Alcazar.
    — Il sera le seul, murmura un
vieux prêtre.
    — Détrompe-toi, fit Paul Alvar.
Ce maudit Zyriab a perverti notre jeunesse, avide de luxe et de plaisirs. Nos
enfants ne jurent plus que par lui et rêvent de l’égaler en tout. Notre façon
de vivre et nos mœurs leur paraissent frustes et vulgaires comparées à celles
des Ismaélites.
    — Qu’en sais-tu ?
    — Il me suffit d’observer mon
propre fils. Sa mère et moi avons soigneusement veillé sur son éducation et,
jusqu’à une date récente, il nous donnait entièrement satisfaction. Certains de
ses amis, qui comptent parmi les meilleures familles chrétiennes de cette
ville, l’ont détourné du droit chemin. Depuis, il se fait appeler, à notre
grande honte, Hafs Ibn Alvar et compose des traités en arabe. Ce sont, je vous
rassure, des œuvres à la gloire de notre religion mais écrites dans la langue
de nos ennemis.
    — Quel mal y a-t-il à
cela ? remarqua Jérémie, un prospère commerçant. Nous parlons presque tous
l’arabe.
    — Au point d’oublier, rétorqua
Paul, notre propre langue et ses trésors. Voilà ce que j’ai écrit à l’un de mes
amis vivant en Ifrandja qui m’interrogeait sur notre situation. Je n’ai pas un
mot à changer à cette lettre envoyée il y a plus de un an. Permettez que je
vous en lise un passage, j’en ai conservé une copie que je garde toujours avec
moi :
     
    Mes coreligionnaires aiment à
lire les poèmes et les romans des Arabes ; ils étudient les écrits des
théologiens et des philosophes musulmans non pour les réfuter, mais pour se
former une diction arabe élégante et correcte. Où trouver aujourd’hui un laïc
qui use les commentaires latins sur les saintes Écritures ? Qui d’entre
nous étudie les Évangiles, les Prophètes, les Apôtres ? Hélas, tous les
jeunes chrétiens qui se font

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