Tarik ou la conquête d'Allah
connu ses jugements [123] . » Connaissant
moins bien que lui les Écritures, ses interlocuteurs se laissaient séduire et
plusieurs d’entre eux, au grand désespoir de leurs familles, avaient suivi
l’exemple de Bodo. D’où l’avertissement lancé par l’évêque de Sarakusta au
comte Isaac : « Prenez garde car un renard rusé va venir dévaster
chez vous les vignes du Seigneur. »
Pour réfléchir aux mesures à prendre
contre Bodo, Isaac avait donc réuni auprès de lui les prêtres et les notables.
Il comptait beaucoup sur deux d’entre eux, Euloge et Paul Alvar. Le premier
était issu d’une vieille famille romaine de rang sénatorial, qui, en dépit des
confiscations ordonnées par les Wisigoths et les Ismaélites, avait conservé
d’immenses domaines dont elle tirait de confortables revenus. Le second était
le neveu du musicien juif Abu I-Nasr Mansour. Ses parents étaient morts peu de
temps après sa naissance et son oncle, qui voyageait beaucoup, s’était
désintéressé de l’éducation de l’orphelin qu’il avait recueilli. Le jeune
Isaac – c’est ainsi qu’il s’appelait alors – n’avait trouvé chaleur
et réconfort qu’auprès de ses voisins, les parents d’Euloge. Ceux-ci l’avaient
pour ainsi dire adopté et il passait la plus grande partie de son temps chez
eux. À l’âge de seize ans, il avait demandé le baptême et pris le prénom de
Paul pour se placer sous le patronage de l’apôtre qui avait persécuté les
disciples du Christ avant d’être touché par la grâce sur le chemin de Damas.
Outré, son oncle lui avait coupé les vivres et le jeune néophyte avait dû
intenter une action en justice pour récupérer la part d’héritage qui lui
revenait.
Bien décidés à mener une existence
exemplaire, les deux amis s’étaient retirés un temps au monastère de Tabanos,
situé dans la périphérie de Kurtuba, et y avaient suivi l’enseignement de
l’abbé Spera-in-Deo, réputé être plus savant qu’Isidore de Séville, la figure
la plus notable de l’Église à l’époque des souverains wisigoths. Euloge et Paul
s’imposaient de constantes mortifications, ne rataient aucun office et
veillaient tard le soir pour étudier les textes sacrés et La Cité de Dieu de saint Augustin dont ils connaissaient de nombreux passages par cœur.
Encouragé par son maître, Euloge
avait résolu d’offrir sa vie au Seigneur et de devenir prêtre. Il reçut
l’ordination et fut nommé desservant de la paroisse Sainte-Zoïle où son zèle ne
lui fit pas que des amis. Nombre de dignitaires qui fréquentaient cette église,
l’une des plus prestigieuses de Kurtuba, n’appréciaient guère ses sermons
enflammés dans lesquels il dénonçait leur tiédeur et leurs compromissions avec
le pouvoir. Ils s’en plaignirent à l’évêque Satil qui convoqua le « coupable »
et fit mine de le tancer :
— Mon jeune ami, je dois te
remercier, fit le prélat. D’habitude, des ouailles viennent se plaindre de
l’impiété et de l’ivrognerie de leur prêtre. C’est bien la première fois qu’ils
sont furieux de voir celui-ci marcher dans les pas du Seigneur. Sache que je
partage tes idées. Dans ma jeunesse, je m’imaginais être le seul à penser ainsi
et je me suis donc abstenu, par prudence, d’exprimer publiquement mes opinions
de peur de mécontenter mes supérieurs.
— Pourtant, ils auraient dû
t’approuver !
— Malheureusement, ils
subissaient alors l’influence détestable d’Eliphandus, le métropolite de
Toletum, qui passait moins de temps à s’occuper de ses fidèles qu’à discuter
théologie avec les foqahas et les cadis. Ceux-ci se moquaient de lui et ne
cessaient de le houspiller à propos du saint mystère de la Trinité. À les
croire, nous, les Chrétiens, étions des païens car nous adorions trois dieux et
non un seul comme les Ismaélites et les Juifs. Rompant avec les enseignements
de notre sainte mère l’Église, Eliphandus fut à l’origine de l’adoptianisme,
une hérésie abominable qui n’a pas, tu peux m’en croire, entièrement disparu.
Il osa prétendre que Notre Sauveur était un homme comme les autres, né de
l’union charnelle d’un homme et d’une femme, que Dieu, pour le récompenser de
ses mérites, aurait adopté, lui conférant ainsi une partie de sa nature divine.
Quant au Paraclet [124] ,
ce n’était qu’un pur esprit, un messager dont l’Éternel se servait pour
communiquer aux hommes Ses lois
Weitere Kostenlose Bücher