Tarik ou la conquête d'Allah
« sectaires » ainsi que nous les appelons en hébreu,
sont d’étranges gens. Ils persécutent ceux qui ne partagent pas leur foi. Mais
cela ne les empêche pas de s’allier à leurs anciens ennemis.
— Qu’entends-tu par là ?
— Cette propriété appartenait à
Witiza et à ses fils. Akhila venait souvent ici et il parlait librement en ma
présence. À ses yeux, je n’étais qu’un meuble, sans plus. Je l’ai entendu
plusieurs fois évoquer l’appui que lui apporterait son oncle, le gouverneur de
Septem. C’est l’un de ces Grecs qui possédaient jadis cette région et qui
rêvent de la récupérer. Akhila est prêt à la leur céder si ce nommé Julien
l’aide à renverser Roderic.
Mughit et Isaac échangèrent un
regard de connivence. Samuel leur avait livré une information de première
importance pour laquelle Tarik les récompenserait généreusement. Ils étaient
loin d’être au bout de leurs surprises. Leur informateur poursuivit :
— J’ai une faveur à vous
demander.
— S’il s’agit de t’emmener avec
nous, répondit Isaac, c’est accordé.
— Je n’ai pas envie de quitter
ce pays car je rêve de retrouver un jour mes enfants.
— Que veux-tu alors ?
— Une femme, poursuivie par les
soldats du roi, est venue se réfugier ici. C’est une esclave franque. Sa
maîtresse, qui vit à la cour de Toletum, l’a chargée de remettre un message au
gouverneur grec de Septem. Akhila m’a ordonné de prendre soin d’elle et de
l’aider à trouver un bateau. Il a oublié que la loi nous interdit, à nous
Juifs, l’accès des ports. Je n’ai donc rien pu faire pour cette malheureuse qui
est cachée dans le cellier. Je vous demande comme une faveur de la faire embarquer
à bord de l’un de vos navires.
Mughit fit venir la fugitive et
l’interrogea. Elle confirma le récit de Samuel mais refusa obstinément de
dévoiler les termes du message dont elle était chargée. Il était inutile de lui
infliger la torture. Elle affichait une froide détermination et aurait préféré
mourir plutôt que de trahir son secret. Maugréant, il lui annonça qu’elle
reverrait bientôt Septem, ce qui alluma dans ses yeux une étrange lueur, un
mélange de joie, de crainte et de férocité.
Pendant plusieurs jours, Isaac et
son chef poursuivirent leur mission de reconnaissance du pays. Le Juif guida
son compagnon aux abords de villes puissamment fortifiées. L’adjoint de Tarik
jaugea d’un œil expert l’état de leurs murailles. Ce qui l’intéressait surtout
était d’observer la campagne et il ne cachait pas sa satisfaction. En dépit des
ravages causés par la sécheresse, l’Ishbaniyah surpassait en richesses et en
beauté tout ce qu’il avait imaginé. Il profita de l’arrivée d’un convoi de
ravitaillement pour remettre à son commandant un court billet destiné au
wali : Cette contrée possède une terre généreuse et bien pourvue d’eau.
Les rivières se comptent par dizaines et il n’y a pas de bêtes venimeuses. Le
climat est modéré. Les ressources naturelles sont inépuisables et la population
est à ce point docile qu’elle changera de maître sans broncher.
Avant de partir, Mughit prit soin de
ramener un riche butin qu’il se procura de la manière la plus perfide qui soit.
Il demanda à Samuel de lui désigner les propriétés appartenant à Akhila et
celles que possédaient les nobles ralliés à Roderic. Il épargna les secondes,
mais mit à sac les premières, recommandant au Juif de raconter au fils de
Witiza que les coupables étaient des soldats wisigoths agissant sur les ordres
du roi. De la sorte, il supputait que le jeune prince chercherait à se venger
du monarque félon. Les statues, les objets d’art et les meubles précieux furent
chargés à bord des navires. La traversée du retour fut agitée. La mer était
mauvaise et la tempête se leva à mi-chemin. Par malheur, une vague emporta
Tarif Ibn Malik alors qu’il se trouvait sur le pont en compagnie de Mughit et
d’Isaac. Selon leur récit, ils avaient bien tenté de le secourir en lui jetant
un cordage mais le malheureux avait coulé à pic. Ils débarquèrent à quelque
distance de Tingis et c’est dans un domaine isolé que Tarik Ibn Zyad vint
contempler les trésors qu’ils avaient volés. Il ne put cacher sa surprise et sa
joie. Sa décision était désormais sans appel. Dès le début de la prochaine
belle saison, il se lancerait à la conquête du royaume
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