Tarik ou la conquête d'Allah
Justinien II, remonté sur le trône après la
mort de l’usurpateur Léonce. Le viol et la captivité de Florinda suffiraient à
ruiner ce projet destiné à renforcer son autorité.
Roderic avait ordonné qu’on retrouve
à tout prix l’esclave fugitive et il avait dépêché à ses trousses ses meilleurs
espions. Ceux-ci avaient fait régner la terreur dans les villes portuaires,
livrant aux bourreaux leurs habitants et les fonctionnaires soupçonnés d’avoir
récemment hébergé une inconnue, au mépris de la loi. Protégée par les partisans
d’Akhila, Bathilde avait trouvé refuge dans une propriété isolée et l’arrivée
inopinée de pillards arabes lui avait permis de s’embarquer pour Tingis.
Quand Bathilde eut achevé son récit,
Julien congédia la vieille femme, l’assurant qu’elle coulerait désormais une
existence oisive et heureuse dans sa demeure. D’un ton sec, il demanda à
Salomon de le retrouver pour dîner en compagnie de Sertorius et des principaux
officiers de la garnison. Devant eux, de manière très digne, afin de dissiper
les commérages malveillants, l’exarque confirma le malheur qui le frappait, lui
et les siens, et leur annonça qu’il était résolu à laver cet affront dans le
sang. Les autres opinèrent de la tête. Seul Sertorius osa prendre la parole
pour exiger des précisions :
— Julien, je compatis à ta
douleur et je comprends ta fureur. À ta place, je n’agirais pas autrement. Que
comptes-tu faire pour te venger ?
— Envahir le royaume des
Wisigoths et y porter la désolation.
— Avec quelles troupes ?
Tu disposes d’une poignée d’hommes, d’excellents militaires, j’en conviens,
mais qui sont indispensables à la protection de cette cité. S’ils partaient,
les Ismaélites viendraient immédiatement mettre le siège sous nos murs et nous
ne pourrions les repousser.
— Pas s’ils m’aident à réaliser
mon projet.
— Que veux-tu dire par
là ?
— Eux aussi s’intéressent à
l’Hispanie sinon ils n’auraient pas envoyé là-bas des éclaireurs comme me l’a
appris Bathilde. Je suis persuadé qu’ils ne veulent pas s’en emparer mais
seulement piller les villes côtières.
— Es-tu sûr, fit Sertorius,
qu’ils se contenteront de simples rapines ?
— Leur chef, Tarik Ibn Zyad,
est un brigand de la pire espèce, cupide et arrogant. Jamais son maître, Moussa
Ibn Nosayr, ne l’autorisera à conquérir l’Hispanie. Son propre chef, le calife
de Damas, a trop de mal à administrer son empire et sa cuisante défaite devant
Constantinople lui a fait passer l’envie d’entrer en guerre contre nous.
— Pourtant, murmura tristement
Sertorius, Moussa Ibn Nosayr a pris et ruiné Carthage, ma ville natale.
— Je ne le sais que trop. Cela
dit, c’était avant que Justinien II ne remonte sur le trône et ne remporte
les victoires que je viens d’évoquer. Depuis, que s’est-il passé ? Les
Arabes ne bougent pas de Tingis et nous laissent en paix. C’est bon signe.
— Pourquoi Tarik désobéirait-il
à son supérieur et te viendrait-il en aide ?
Julien sourit finement :
— Je l’ai persuadé que la Nigritie
renfermait des trésors inépuisables. Pour financer son expédition, il a besoin
d’argent et il s’en procurera en se battant à nos côtés.
— Même avec son appui, rétorqua
Sertorius, parviendrons-nous à infliger une défaite aux Wisigoths ? Ce
sont des guerriers redoutables. Ils l’ont prouvé en chassant nos aïeux du Sud
de l’Hispanie.
— En principe, la chose paraît
ardue. Heureusement, nous avons des alliés sur place. Mon neveu Akhila m’a fait
savoir que si nous lui permettions de monter sur le trône de son père, il
prêterait hommage au basileus. Quand nous en aurons terminé avec Roderic, nous
nous retournerons contre Tarik… s’il revient vivant des sables du désert.
— Pour le moment, il nous faut
obtenir son accord.
— Dès demain, nous nous
rendrons tous à Tingis pour discuter ce plan avec lui et ses officiers.
N’oubliez pas qu’ils seront bientôt nos alliés. Soyez prévenants envers eux.
— Tu nous demandes, tonna
Salomon, d’être aimable avec les pires ennemis de la foi chrétienne !
— J’apprécie ton zèle religieux,
mais fais taire tes sentiments. Il y va de mon honneur et de l’intérêt de
l’Empire.
Dès son arrivée à Tingis, Julien se
rendit chez le wali en compagnie de l’évêque Paulus, qu’il entendait
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