Tarik ou la conquête d'Allah
qu’elle rêvait pour son fils aîné d’un parti plus prestigieux,
en l’occurrence Égilona, fille de Childebert III, roi de Neustrie et
d’Austrasie. Pour l’éloigner de sa cousine, Akhila avait été nommé duc de
Septimanie et de Narbonnaise et envoyé, en dépit de ses protestations, dans ces
deux provinces rebelles. Florinda était restée à Toletum, recluse dans ses
appartements, pendant que sa rivale, arrivée en Hispanie avec une nombreuse
suite, faisait l’objet de toutes les attentions. Son seul protecteur, son oncle
Witiza, était mort brutalement, d’un refroidissement contracté lors d’une
partie de chasse. La fille de Julien avait ensuite assisté à l’éviction
d’Akhila. Les nobles avaient préféré placer sur le trône, Roderic, duc de
Bétique.
Sitôt couronné, cet intrigant avait
épousé Égilona pour se concilier les bonnes grâces des Francs. Désireux de ne
pas froisser l’exarque de Septem, il avait, au début, traité Florinda comme une
invitée de marque. Débarrassée de sa tante qui avait quitté la cour, la jeune
femme attendait patiemment le retour de son fiancé qui avait été contraint de
prêter allégeance à celui qu’il appelait en privé l’usurpateur et contre lequel
il ourdissait d’obscurs complots.
Florinda passait ses journées en
compagnie de jeunes filles nobles. Quand il faisait trop chaud, elles allaient
se baigner dans le Tage. Elles avaient découvert, non loin de la ville, un site
retiré et ombragé où elles pouvaient s’amuser sans crainte d’être importunées.
Elles nageaient, nues, dans le fleuve et se séchaient sur la rive tout en
mangeant des fruits et en échangeant les derniers commérages sur la vie à la
cour.
Le malheur voulut que Roderic, au
hasard d’une promenade à cheval, découvrît leur repaire. Il ordonna à son
escorte de regagner le palais et s’avança en se dissimulant derrière les joncs.
La vue de Florinda entièrement dévêtue, agitant gracieusement ses longues
jambes brunies par le soleil, lui fit perdre la tête. Marié à un laideron
acariâtre et d’une bigoterie maladive – Égilona se signait à chaque fois
qu’il l’approchait –, il en avait pris son parti et lutinait allègrement
les servantes de sa femme qui fermait les yeux sur ses passades. Mais, pour
rien au monde, elle n’aurait accepté qu’il ait une liaison officielle avec une
aristocrate. Devant la beauté de Florinda, Roderic oublia tous ses devoirs de monarque
et n’eut plus qu’une idée : en faire sa concubine.
Le soir même, il convoqua dans ses
appartements la fille de Julien sous prétexte de lui demander conseil pour
l’organisation d’une fête qu’il voulait donner en l’honneur des nobles qui
l’avaient élu roi des Wisigoths. Elle ne se méfia pas puisque Roderic s’était
toujours comporté courtoisement avec elle. Quand elle entra dans la pièce où il
se tenait, il perdit tout contrôle de lui-même. Tel un soudard aviné, il la
viola, restant insensible à ses supplications et à ses larmes.
Une fois l’acte consommé, il la
repoussa avec mépris, lui ordonnant de revenir le lendemain soir.
Florinda regagna en titubant ses
appartements où Bathilde s’efforça de la réconforter. Informée par un garde de
ce qui s’était passé – l’homme avait reçu pour récompense une grosse somme
d’argent – la reine Égilona chercha à se venger. Convaincue que la fiancée
d’Akhila avait délibérément séduit son mari, elle la fit mettre au secret dans
un cachot humide et obscur et sa servante fut bannie du palais, sur-le-champ.
À son retour d’une partie de chasse,
ayant appris la conduite de son épouse, Roderic entra dans une violente colère.
Sa bigote de femme avait commis deux fautes impardonnables. La première était
d’avoir fait emprisonner Florinda. Désormais, il ne pouvait intercéder en sa
faveur, sous peine de désavouer la reine. La seconde erreur était d’avoir
renvoyé la servante. Cette rusée matrone chercherait sans nul doute à gagner
Septem par tous les moyens afin de prévenir l’exarque qui n’aurait de cesse de
se venger. Or, en butte aux complots de toutes parts, Roderic avait imaginé de
faire condamner à l’exil Akhila et sa turbulente parentèle par l’assemblée des
nobles et il comptait sur l’exarque pour les accueillir. Pour comble de malheur,
le roi avait envoyé à Constantinople une ambassade pour négocier une alliance
politique et militaire avec
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