Tarik ou la conquête d'Allah
s’émerveillant des progrès accomplis
chaque jour par son élève. Quand il le jugea mûr pour entrer dans la communauté
des croyants, il convoqua une nombreuse assistance et demanda à Isaac de
réciter la chahada, la profession de foi musulmane. À sa grande indignation, le
néophyte l’insulta publiquement et affirma qu’il était guidé par le démon et
que sa religion était une « doctrine pestilentielle ». Fou de rage,
Saïd Ibn Suleïman éclata en sanglots et gifla le vieillard. Toutefois, il
estimait assez celui-ci pour prendre la précaution d’affirmer que l’ancien
comte n’était pas dans son état normal. Il était ivre, ce qui expliquait l’abominable
blasphème dont il s’était rendu, contre son gré, coupable. Isaac rétorqua qu’il
n’avait pas bu une seule goutte de vin et qu’il était prêt à répéter ce qu’il
avait dit. Dans ces conditions, le cadi fut contraint de le livrer au bourreau.
Le vieillard fut crucifié, la tête en bas, puis décapité. Son cadavre fut brûlé
et ses cendres dispersées dans le fleuve.
La plupart des Chrétiens de Kurtuba
ne cachèrent pas qu’ils condamnaient l’attitude de leur ancien chef. Mais une
petite partie d’entre eux, encouragés secrètement par Euloge et Paul,
décidèrent de suivre son exemple. Pendant quelques semaines, la capitale fut le
théâtre d’incidents d’une exceptionnelle gravité. Quelques jours après la mort
d’Isaac, un Muet, Sanctus, qui avait escorté le prisonnier, se rendit chez le
cadi pour proclamer qu’il refusait de servir un souverain dont la religion
était un tissu de mensonges. Il fut exécuté en compagnie de Sabinianus,
Wistremundus, Habentius, Jérémie et Walabonsus, plusieurs moines de Tabanos
dont l’enquête avait établi qu’ils avaient eu connaissance du projet d’Isaac et
qu’ils s’apprêtaient à l’imiter.
Abd al-Rahman, préoccupé par cette
affaire, fut consterné d’apprendre que ce mouvement faisait tache d’huile dans
toute l’Ishbaniyah. Il ne concernait pas uniquement des Nazaréens, mais aussi
des Musulmans issus d’un mariage mixte. Ainsi, à Bosca, deux sœurs, Nunilo et
Alodia, profanèrent publiquement le nom d’Allah. Elles étaient nées d’un père
musulman et d’une mère chrétienne. Oubliant ses devoirs, leur père avait
autorisé son épouse à les élever dans sa religion. Après son veuvage, leur mère
avait épousé un autre Musulman et envoyé ses filles chez sa sœur qui vivait
dans une autre localité. Les deux jeunes femmes s’apprêtaient à rentrer au
couvent quand un Musulman de Bosca, de passage dans la ville où elles s’étaient
réfugiées, les reconnut et les dénonça comme relapses au cadi. Celui-ci tenta
de les ramener dans le droit chemin en leur promettant que de pieux fidèles
s’offraient à les doter pour leur permettre d’épouser de jeunes Musulmans de
bonne famille. Rien n’y fit. Nunilo et Alodia proférèrent de telles
abominations qu’elles furent décapitées le 22 octobre 851.
Une affaire similaire éclata à
Ishbiliya. Flora était la fille d’un Musulman et d’une Chrétienne. Après la
mort de son mari, sa mère l’avait secrètement élevée dans sa foi. Son fils,
lui, était devenu un Musulman fanatique et surveillait attentivement sa sœur
qu’il soupçonnait d’avoir apostasié et qui finit par s’enfuir et trouver refuge
dans un couvent où elle se lia d’amitié avec une nommée Maria, fille d’un père
chrétien et d’une mère musulmane secrètement convertie au christianisme. Son
frère, Walabonsus, dissimulant ses origines, était devenu moine à Tabanos. Son
arrestation entraîna l’ouverture d’une enquête sur sa famille qui aboutit à
l’arrestation de sa sœur et de Flora, lesquelles, ayant refusé de renoncer à
leurs erreurs, furent exécutées le 24 novembre 851.
Devant la multiplication de ces
scandales, Abd al-Rahman convoqua Cornes et lui ordonna la réunion en urgence
d’un concile afin que les évêques condamnent ces actes d’insubordination
inacceptables et rappellent aux Chrétiens leur devoir d’obéissance et de
fidélité à l’émir. Le comte s’appuya sur le métropolite de Tulaitula, Recafred,
dont la cupidité était proverbiale. De somptueux cadeaux, des exemptions
fiscales et l’attribution à sa personne de plusieurs domaines poussèrent ce
prélat à faire efficacement pression sur ses pairs et à les gagner à ses
arguments. À ses yeux, chercher le
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