Tarik ou la conquête d'Allah
méthode porta ses fruits assez
rapidement. Mughit constata que les effectifs des gardes postés sur les
murailles ne cessaient de diminuer jour après jour. Le danger s’éloignant, les
civils réquisitionnés à la hâte étaient retournés à leurs ateliers et à leurs
échoppes vaquer à leurs activités habituelles. Le gouverneur ne s’en était pas
soucié. Puisqu’ils ne combattaient plus sous sa bannière, c’étaient autant de
bouches en moins à nourrir sur les stocks de vivres qu’il avait patiemment
constitués. Trois semaines après le début de cette étrange trêve, tout se
passait comme si les assiégeants et les assiégés menaient chacun de leur côté
leur propre vie, s’ignorant superbement et ayant, pour les seconds, renoncé aux
plus élémentaires règles de prudence.
Profitant d’une nuit où la lune
était cachée par d’épais nuages, Mughit al-Roumi mit son plan à exécution.
Quand l’obscurité la plus complète régna sur la plaine, il ordonna à une
vingtaine de Berbères, choisis parmi les plus robustes et les plus agiles, de
traverser à la nage le fleuve cependant que le reste de l’armée se rassemblait
silencieusement aux alentours du pont romain construit jadis par des vétérans
des légions de César et d’Auguste. Les attaquants pouvaient observer au loin
les sentinelles effectuant leurs rondes à intervalles réguliers jusqu’à ce
qu’un violent orage les oblige à se mettre à l’abri et à trouver dans de trop
copieuses libations un dérivatif à l’ennui. Bientôt, les torchères éclairant
les tours s’éteignirent.
Bakr, un Berbère zenata appartenant
au petit groupe d’hommes qui avaient lutté courageusement contre le courant en
traversant le fleuve, parvint jusqu’au fameux figuier qu’il escalada
promptement. Conformément à ce qu’avait indiqué Fredenandus le Berger, il
découvrit une brèche dans la muraille. D’un simple saut, il se retrouva sur le
chemin de ronde. Déroulant son turban, il le lança à ses compagnons afin qu’ils
s’en servent de corde. Progressant silencieusement, ils escaladèrent les
escaliers de la tour adjacente et égorgèrent dans leur sommeil les sentinelles
tout comme les gardes de faction à la porte du pont dont ils ouvrirent, non
sans mal, les lourds vantaux. À ce signal, la cavalerie berbère s’engouffra
dans la ville, y semant la panique et la terreur. Réveillés par les
hennissements des chevaux et les cris rauques des guerriers, les habitants
s’enfuirent en désordre dans les rues, essayant de trouver asile dans les
églises et les monastères ou se prosternant humblement aux pieds des vainqueurs
en implorant leur clémence.
Au petit matin, Mughit al-Roumi
était maître de la cité, enfin de presque toute la cité. Le gouverneur et la
garnison, accompagnés de leurs familles, s’étaient barricadés dans l’église
Saint-Asisclo, une véritable forteresse juchée sur une colline difficile
d’accès. Le bâtiment, quasiment dépourvu d’ouvertures, hormis sa lourde porte
en bronze que les fugitifs s’empressèrent de murer, était imprenable. Pour
venir à bout de la résistance des assiégés, les habitants des quartiers voisins
furent évacués et des soldats patrouillaient inlassablement jour et nuit afin
d’intercepter ceux qui auraient été tentés d’approvisionner les défenseurs.
Visiblement, ceux-ci disposaient de vivres en quantité suffisante et, fait plus
surprenant, d’eau alors que la pluie avait cessé de tomber et que l’église se
situait à bonne distance du fleuve.
Un incident cocasse permit
d’élucider ce mystère. Un soldat de Mughit, originaire du Bilades-Sudan, la
Nigritie, fut capturé par les Wisigoths. Comme l’homme le raconta plus tard,
ses geôliers n’avaient jamais vu de Noirs de leur vie et les prêtres fanatiques
qui leur servaient de mentors leur expliquèrent qu’il s’agissait d’un démon au
visage noirci par les flammes de l’enfer. Pour lui rendre sa présumée couleur
originelle, ils le lavèrent à l’eau bouillante et le frottèrent avec une pierre
ponce jusqu’à lui arracher des lambeaux de peau. Le prisonnier remarqua qu’ils
puisaient l’eau à une rivière souterraine passant sous les fondations du
bâtiment. Ayant réussi à s’échapper par une canalisation, le Noir livra à
Mughit cette information capitale. Avec l’aide de Fredenandus, désormais vêtu
d’un burnous et coiffé d’un turban, et en interrogeant un peu
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