Tarik ou la conquête d'Allah
relents d’hérésie. Le jeune homme en avait conçu une
rancune tenace à l’encontre des catholiques, qui trouva pleinement à s’employer
après la chute de la capitale. Soucieux de s’attirer les bonnes grâces du
conquérant, il fut le premier noble à se convertir à l’islam sous le nom de
Saïd Ibn Kasi. Florinda décida qu’un jour ou l’autre, il l’aiderait à se venger
de son cousin et usa de tout son charme pour le séduire.
Ce ne fut guère difficile. Les
épreuves n’avaient point altéré sa beauté et elle eut l’intelligence de se
glisser dans le lit de Fortunius bien avant l’officialisation de leur union.
Les caresses habiles qu’elle lui prodigua tournèrent définitivement la tête à
ce jeune coq prétentieux. Il n’eut de cesse que Tarik l’autorise à la prendre
pour femme et ferme les yeux sur son exigence d’être autorisée à demeurer
chrétienne. Les scrupules religieux de la fille de Julien ne comptaient guère
aux yeux du chef berbère. Il redoutait, en revanche, l’ascendant qu’exerçait
sur ses semblables le nouveau converti et pensa que son mariage avec Florinda
diminuerait quelque peu son prestige, le rendant dès lors plus malléable. Il
donna donc son aval à cette alliance. Quant à Fortunius, incapable de deviner
les desseins secrets de Florinda et les raisons du curieux laxisme de Tarik, il
escomptait simplement que la jeune Grecque lui donne des fils robustes et
vaillants qui hériteraient, le moment venu, de ses domaines et des milliers
d’esclaves qui y travaillaient.
Mughit al-Roumi arriva à temps pour
assister aux noces de Saïd Ibn Kasi et de la fille de l’exarque. Le lendemain,
il eut un long entretien avec Tarik Ibn Zyad durant lequel ils analysèrent
froidement leur situation. Celle-ci n’était guère brillante. Ils avaient perdu
près de trois mille hommes et les autres suffisaient à peine pour maintenir
l’ordre dans les territoires conquis quand ils ne s’étaient pas tout simplement
évanouis dans la nature pour se rendre maîtres des domaines abandonnés par les
partisans de Roderic. Faute d’effectifs, la garde de nombreuses villes tombées
aux mains des Ismaélites avait été confiée aux Juifs. Libérés de leurs chaînes,
les enfants d’Israël se montraient de précieux auxiliaires des vainqueurs et
avaient déjoué à plusieurs reprises les complots ourdis par les Chrétiens en
relation avec leurs frères qui tenaient encore différentes places fortes, en
particulier Hispalis et Augusta Mérita [17] contre lesquelles aucune opération ne pouvait être menée sans le concours de
puissants renforts.
La mort dans l’âme, Mughit al-Roumi
et Tarik Ibn Zyad se résignèrent à faire appel à Moussa Ibn Nosayr. Ils lui
adressèrent une lettre obséquieuse dans laquelle ils sollicitaient humblement
son pardon pour avoir osé enfreindre ses ordres. Ils prirent toutefois soin de
lui décrire avec luxe de détails les richesses dont ils s’étaient emparé,
certains que ce tableau exciterait sa cupidité proverbiale. Ils n’avaient pas
tort. Quelques semaines plus tard, un messager les informa que leur supérieur
débarquerait sous peu à la tête de dix-huit mille hommes pour prendre
possession officiellement de l’Ishbaniyah au nom du calife al-Walid. Aux
questions qu’ils posèrent à leur visiteur sur l’état d’esprit du wali à leur
égard, ils n’obtinrent aucune réponse. Visiblement, Moussa Ibn Nosayr préparait
un mauvais coup contre ses lieutenants. Il leur faudrait se défier de lui tout
en cherchant à l’amadouer par de somptueux présents.
Un jour, Tarik Ibn Zyad reçut la
visite de ses deux amis juifs, Isaac et Samuel, auxquels il réserva un accueil
chaleureux :
— La paix soit sur vous !
Je suis heureux de vous voir et de vous remercier, encore une fois, de votre
appui. Vous ne m’aviez pas menti en m’assurant du concours de votre peuple.
— Tu as permis à nos frères de
retrouver leurs enfants et nous pouvons désormais librement prier notre Dieu
dans nos synagogues. C’est plus que nous n’espérions et, chaque jour, des
milliers d’hommes et de femmes appellent sur toi les bénédictions de l’Éternel,
béni soit-Il. C’est en leur nom que nous sommes venus aujourd’hui t’offrir la
totalité de nos fortunes.
— Êtes-vous devenus fous ?
— Pas le moins du monde.
— Et s’il m’arrivait de vous
prendre au mot, avouez que vous seriez bien embarrassés, s’esclaffa le
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