Tarik ou la conquête d'Allah
chef
berbère.
— Tu te trompes, c’est une
proposition très sérieuse. Cela dit, il est vrai que nous désirons obtenir
quelque chose en échange.
— Je n’ai rien à vous donner
qui vaille autant.
— Nous savons que tu as en ta
possession la Table de Salomon.
— Vous voulez parler de cette
merveille, taillée dans une émeraude gigantesque, enrichie de perles et de
pierres précieuses, et montée sur trois cent soixante-cinq pieds d’or, que j’ai
trouvée dans le trésor de Roderic. Je ne suis pas versé dans les Écritures
saintes et je ne vois pas en quoi cela vous concerne.
— Elle se trouvait jadis dans
le Temple de nos pères. Quand il s’est emparé de Jérusalem, l’empereur Titus,
maudit soit son nom, a ramené à Rome tout ce que ses soldats avaient sauvé de
l’incendie qui consuma le sanctuaire bâti par Salomon. Ces richesses furent
ensuite volées par Alaric, quand il pilla la cité d’Edom. Ses successeurs se
partagèrent le butin. Une partie fut emportée à Carthage par les Vandales et
récupérée par les Grecs quand ils reprirent cette ville. Les Wisigoths ont
conservé le reste. Par nos frères orfèvres qui travaillaient au palais, nous
savions depuis longtemps que ce vestige de notre antique splendeur se trouvait
à Toletum et, de temps à autre, certains d’entre nous risquaient leur vie pour
pouvoir la contempler. Pour toi, c’est un objet d’art comme un autre. Pour nous
qui rêvons de retourner dans la terre de nos ancêtres et qui nous tournons vers
elle pour prier trois fois par jour, elle représente ce que nous avons de plus
sacré. La racheter est un devoir et c’est pourquoi nous t’offrons tout ce que
nous possédons. Peu importe que nous mourions de faim dans les mois à venir,
nous l’acceptons avec joie, pourvu que nos frères de par le monde sachent que
le Seigneur a consolé les endeuillés de Sion et leur a rendu l’espoir.
Tarik Ibn Zyad ne cilla pas. L’offre
était alléchante, trop alléchante. Nul, hormis Mughit al-Roumi et quelques
Berbères de sa tribu, ne savait qu’il possédait cette Table qu’il comptait bien
s’approprier. Ces diables de Juifs dérangeaient ses plans. Bien sûr, ils
étaient prêts à le couvrir d’or s’il acceptait de la leur céder. Il ne croyait
pas un seul instant qu’ils lui tendaient un piège mais il devait se montrer
prudent, très prudent. S’il acceptait leur proposition, sa soudaine fortune,
difficile à dissimuler, dépasserait de très loin la part légitime de butin qui
lui revenait en tant que chef de l’expédition et cela attirerait les soupçons
de ses adversaires. Mieux valait donc ne pas accepter cette offre sans pour
autant blesser ses interlocuteurs dont il comprenait les nobles motivations. De
plus, il les tenait en haute estime. Ils lui avaient permis de conquérir
l’Ishbaniyah et pourraient sans doute encore lui être utile dans les mois à
venir. Il fallait ménager leur amour-propre et donner une explication plausible
à son refus. D’un ton apitoyé, l’ancien wali de Tingis dit à Isaac :
— S’il n’avait tenu qu’à moi,
j’aurais volontiers exaucé ton vœu et je regrette que tu ne l’aies pas formulé
plus tôt. J’ai des comptes à rendre à mes supérieurs et j’ai dû avertir mon
maître, le calife de Damas, de l’existence de ce trésor qu’il a réclamé pour
lui. Il désire qu’il lui soit envoyé. Je n’ai pas les moyens de m’opposer à cet
ordre, je suis contraint de l’exécuter, faute de quoi ma tête roulerait dans le
sable.
— Je te comprends, murmura
tristement le Juif. Dieu nous inflige une nouvelle épreuve en expiation de nos
péchés. Lors des persécutions déclenchées contre nous par les Wisigoths, nous
avons préféré lâchement sauver nos vies plutôt que d’accepter de mourir pour ne
pas avoir à transgresser ses saints commandements. Il nous en tient rigueur et
nous méritons cette punition. Que Sa volonté soit faite et qu’il daigne un jour
rebâtir Son Temple et rassembler des quatre coins de la terre ses fils à
Sion ! Je te demande une seule faveur : autorise tous les membres de
mon peuple présents dans cette ville à venir contempler cette vénérable relique
et à observer autour d’elle une journée de jeûne. Les témoins de cette scène la
raconteront à leurs enfants et à leurs petits-enfants et ceux-ci la
transmettront de génération en génération afin que ne s’efface point le
souvenir de notre
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