Tarik ou la conquête d'Allah
toutes celles parlées dans l’univers, puisque Dieu
l’a choisie pour se révéler à son Prophète, Handalousia désigne la région du
soir, l’Occident, cet Occident après lequel il n’existe aucune terre connue. Tu
as porté l’épée de l’islam jusqu’aux confins les plus lointains du monde connu
et nos petits-enfants t’en seront éternellement reconnaissants. Tu es celui qui
a conquis l’Handalousia. Laissons croire à ces chiens de païens que
l’Ishbaniyah s’appelle désormais al-Andalous du nom de ses anciens maîtres.
Sans le savoir, en cédant à un orgueil mal placé et en estimant nous humilier
de la sorte, ils confesseront en fait la grandeur et le pouvoir du Dieu unique
et de la communauté des fidèles, l’Umma, celle à laquelle nous appartenons
tous, que nous soyons arabes, berbères ou descendants des Romains et des Grecs.
— Qu’il en soit fait ainsi que
tu l’indiques. Toutefois, que nul, parmi ceux qui se trouvent sous cette tente,
ne s’avise de révéler à quiconque les raisons de ce choix. Si l’un d’entre vous
osait le faire, sa tête roulerait bientôt à terre !
Depuis qu’il avait traversé le
détroit à bord des navires byzantins confisqués à Julien après la prise de
Septem, Mughit al-Roumi respirait. Un temps, il avait craint d’être tenu
délibérément à l’écart de l’expédition en raison de ses lointaines origines
chrétiennes. C’était, il avait dû en convenir, une erreur. Son supérieur était
un Berbère dont la famille s’était convertie à l’islam bien après la sienne et
tous deux pâtissaient également du mépris qu’affichaient à leur égard les
Arabes de souche, toujours prêts à faire étalage, en termes ronflants, de leur
lignage. Pourtant, ces fiers guerriers semblaient s’être assagis, savourant le
confort et le luxe des palais où ils vivaient entourés d’une nombreuse
domesticité. Rares, très rares étaient ceux qui acceptaient encore de
participer au djihad afin d’agrandir le Dar el-Islam, l’ensemble des
territoires où le nom d’Allah le Tout-Puissant et le Tout-Miséricordieux était
publiquement invoqué cinq fois par jour. Ils laissaient cette tâche subalterne
aux néophytes comme s’ils voulaient éprouver la sincérité de leurs convictions
mais omettaient de les récompenser équitablement de leur zèle et de les tenir
pour leurs égaux devant Dieu et les hommes.
Le cuir tanné par des humiliations
répétées, Mughit al-Roumi savourait pleinement sa condition présente. En
quelques semaines, avec ses cinq mille Berbères, il avait conquis des dizaines
de villes et de bourgades, amassant une fabuleuse quantité de richesses. Seule
ombre au tableau, la farouche résistance des habitants de Cordoba [14] qui, retranchés derrière leurs formidables murailles, empêchait sa progression.
Après l’échec de trois assauts, Mughit avait établi son camp sur la rive gauche
du fleuve appelé par ses soldats « la grande rivière [15] ». Avec
l’arrivée des premières pluies de l’automne, l’endroit était devenu un
véritable bourbier et il avait été contraint d’user de toute son autorité pour
rétablir la discipline dans les rangs de son armée et enrayer le flot croissant
des désertions. Par ses espions, il savait que les Wisigoths disposaient
d’assez de vivres pour tenir plusieurs mois et qu’ils espéraient l’arrivée providentielle
de renforts venus de Toletum. Lui, par contre, ne pouvait compter sur l’aide de
Tarik Ibn Zyad dont les troupes, épuisées par leur campagne d’été, prenaient un
repos mérité.
De guerre lasse, il s’apprêtait à
donner l’ordre de lever le siège quand un officier l’avertit qu’un berger
chrétien sollicitait d’être reçu en audience par le chef des Ismaélites selon
la formule qu’il avait utilisée. L’homme était de grande taille, le visage
buriné par le soleil et ses yeux brillaient d’une étrange lueur. Mughit
l’interrogea :
— Quel est ton nom ?
— Fredenandus. Je suis le fils
d’un Wisigoth et d’une esclave. La loi veut que l’enfant issu d’une telle union
suive la condition du plus vil de ses parents. Je suis donc né dans les fers et
j’ai servi toute ma vie dans un domaine appartenant au défunt roi Roderic.
— Pourquoi n’as-tu pas cherché
refuge à Cordoba comme les autres habitants de cette région ? Tes maîtres
t’ont-ils chargé de nous espionner ?
— Non. L’intendant et
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