Tarik ou la conquête d'Allah
leur
ai même proposé de se convertir à l’islam, mais ils ont refusé. Ils croient en
leur Christ et c’est leur droit comme c’est le droit de ces deux Juifs de
rester fidèles aux traditions de leurs pères.
— Tu as usé d’un stratagème
habile et je t’en félicite. Ne crains-tu pas toutefois que tes fameux alliés ne
cherchent à regrouper leurs forces et à nous attaquer avec l’aide de
Julien ?
— Je n’ai aucune inquiétude à
ce sujet. Le gouverneur de Septem ne peut rien tenter contre nous. Sa femme est
déjà mon otage, et sa fille sera bientôt en mon pouvoir. De toute manière,
oublie-le, il ne compte plus. Dès que sa flotte aura transporté les troupes de
Mughit al-Roumi, notre garnison de Tingis s’emparera de Septem. Bien entendu,
pour le remercier de ses services, bien qu’il ait cherché à nous tromper,
Julien aura la vie sauve et pourra s’embarquer pour Constantinople où son
empereur lui fera payer cher ses agissements. Quant à Akhila et Théodomir, ils
sont plus sages que tu ne le crois. Ils savent que toute résistance est
inutile. Leur royaume est pourri de l’intérieur. Sitôt connue la défaite de
Roderic, les Juifs et les paysans se soulèveront en masse contre leurs
oppresseurs. Aux premiers, j’ai promis la liberté. Ils pourront rouvrir leurs
synagogues et récupérer leurs enfants enfermés dans des monastères. Akhila n’y
est pas hostile puisque son père avait tenté d’adoucir leur sort en dépit de
l’opposition du clergé. Quant aux paysans, c’est une autre affaire. Ils
attendent le moment propice pour se révolter. Les nobles wisigoths possèdent d’immenses
domaines et n’ont pas envie de les perdre. Ils ont donc besoin de moi pour
rétablir l’ordre et mater les insurgés. Je suis prêt à les aider en échange de
leur soumission.
— Tu négliges, fit Amr,
l’influence maléfique de leurs prêtres. Ces fanatiques nous font passer pour
des démons, en répandant sur nous les pires calomnies. Le peuple les suivra.
— Ils feront comme leurs
semblables en Orient. Ils s’adapteront pourvu qu’on leur laisse des églises et
des monastères. Souvenez-vous de Paulus, l’évêque de Tingis. Le malheureux
était trop occupé à empêcher ses ouailles d’abjurer pour songer à autre chose.
Akhila a un oncle, Oppas, évêque d’une de leurs cités. Il est prêt à prendre la
place du chef des Nazaréens, les Chrétiens locaux, Sindered. Lui aussi a pris
la fuite pour se mettre à l’abri et je doute fort qu’il veuille tomber entre
nos mains. Tu dois te rendre à l’évidence, l’Ishbaniyah nous appartient d’ores
et déjà. Sa soumission est une question de jours ou de semaines.
— Cela devrait te réjouir, Tarik.
Or, tu parais soucieux.
— En fait, ce succès
m’inquiète. Nous n’avons pas véritablement conquis ce royaume. Il est tombé
comme un fruit mûr de l’arbre. J’y vois un mauvais présage. La même chose
pourrait advenir à nos descendants s’ils ne font pas preuve de vigilance. Ce
pays est une terre magique et redoutable qui semble vouloir engloutir tous ses
conquérants. Puisse Allah le Tout-Puissant et le Tout-Miséricordieux faire en
sorte qu’elle reste musulmane à jamais !
— Donne-lui alors un nom qui
porte la marque de notre foi !
— Je ne suis pas assez versé en
arabe pour le faire.
Un vieil homme se leva alors.
C’était l’un des rares Arabes de souche à faire partie de l’expédition. Il
connaissait le saint Coran par cœur et certains murmuraient même qu’il n’ignorait
rien des poésies profanes jadis récitées par les tribus de Médine ou de La
Mecque lorsqu’elles n’avaient point encore accepté l’enseignement du Prophète,
sur Lui la bénédiction et la paix ! Marwan Ibn Omar al-Lakhmi – tel
était son patronyme – prit la parole dans un silence religieux :
— Tarik Ibn Zyad, ce pays était
jadis habité par les Vandales qui occupèrent une partie de l’Ifriqiya après
avoir pillé Rome, la ville sainte des Nazaréens. On peut donc le désigner sous
le nom d’al-Andalous, le pays des Vandales.
— Noble vieillard, ta
proposition est la bienvenue. Toutefois, ainsi que le suggérait Amr, peut-être
vaudrait-il mieux trouver une appellation qui ne fasse pas allusion à ses
anciens occupants mais indique clairement qu’il appartient aux disciples
d’Allah le Tout-Puissant et le Tout-Miséricordieux.
— Dans notre langue, la plus
sainte et la plus belle de
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