Tarik ou la conquête d'Allah
notre ennemie, ni
faire du tort à quiconque aura bénéficié de notre amnistie, ni tenir secrets
les renseignements relatifs à l’ennemi qui parviendront à sa connaissance. Lui
et ses sujets devront payer chaque année un tribut personnel comportant un
dinar en espèce, quatre boisseaux de blé et quatre d’orge, quatre mesures de
moût, quatre de vinaigre, deux de miel et deux d’huile. Ce taux sera réduit de
moitié pour les esclaves.
L’air béat de satisfaction, le
général musulman semblait guetter l’approbation du Wisigoth. Devant l’absence
de réaction de son interlocuteur, il l’interpella, agacé :
— Conviens que ce sont là des
dispositions très généreuses qui pourraient inciter les assiégés d’Augusta
Mérita à capituler.
— Je connais bien Théodomir et
ton fils a eu raison de se comporter de la sorte envers lui. Ce dévoué
serviteur d’Akhila a été l’un des premiers à abandonner sur le champ de
bataille Roderic, permettant ainsi à ton lieutenant, Tarik Ibn Zyad, de
remporter une victoire plutôt facile. Théodomir reçoit le juste salaire de ses
services et il est bien qu’il en soit ainsi. Je serais bien ingrat de m’en
plaindre. Toi aussi, tu m’as comblé de cadeaux et tu m’as permis de conserver
les vastes propriétés que je tiens de ma famille. Ce n’était pas simplement par
générosité encore que tu n’en manques pas. Tu y as trouvé ton intérêt. Vous ne
disposez pas d’hommes assez compétents pour administrer efficacement ce pays et
vous devez avoir recours à ses anciens maîtres. La population nous craint et
nous respecte. Nous sommes prêts à vous servir dans la mesure où vous nous
reconnaissez certains privilèges. Or les habitants d’Augusta Mérita ont refusé
d’accepter tes offres de paix. Ce serait nous insulter que de leur accorder les
faveurs dont tu nous as comblés. Ils en tireraient la conclusion qu’être loyal
ou déloyal ne signifie pas grand-chose à vos yeux et qu’ils pourront à l’avenir
se révolter en étant assurés d’obtenir votre pardon. Voilà pourquoi, noble
seigneur, tu dois faire un exemple.
— Que me suggères-tu ?
— De prendre ton mal en
patience. Dans quelques semaines, les vivres des assiégés seront épuisés. Les
soldats veulent bien périr au combat, mais détestent mourir de faim. Les civils
aussi. Ils viendront d’eux-mêmes t’offrir leur reddition et tu l’accepteras à
condition que ceux qui ont pris les armes soient réduits en esclavage. Quant au
clergé, qui a excité les fidèles, ses biens seront confisqués tout comme ceux
des nobles rebelles. Envers le peuple, tu feras preuve de générosité en les
autorisant à conserver leurs biens, c’est-à-dire peu. Ils se seront imaginés
tant de choses abominables les concernant qu’ils te béniront et n’hésiteront
pas à massacrer les partisans de la résistance à outrance. Il te suffit
d’attendre que les loups se changent en agneaux et cela ne saurait tarder.
— Combien de temps vais-je rester
bloqué devant ces murailles que mes machines n’arrivent pas à abattre ?
— Je te l’ai dit, tout au plus
quelques semaines. Laisse-moi agir dans l’ombre. J’enverrai en ville mes
serviteurs les plus dévoués et ils instilleront le poison du doute dans les
plus basses classes de la société.
La méthode de Récared porta ses
fruits. Augusta Mérita finit par capituler et Moussa Ibn Nosayr put poursuivre
sa progression, s’emparant d’Hispalis dont il confia la garde aux Juifs. Il se
dirigea à marche forcée vers Tulaitula. Avertis de son arrivée, Tarik Ibn Zyad
et Mughit al-Roumi se portèrent à sa rencontre. Leur supérieur les fit attendre
de longues heures avant de les recevoir sous sa tente. Ignorant Mughit, le
gouverneur de l’Ifriqiya s’adressa au chef berbère :
— De quel droit as-tu osé
désobéir à mon ordre de ne pas t’aventurer de l’autre côté du détroit ?
— J’ai cru bien faire en
gagnant de nouveaux adeptes à la foi du Prophète, sur Lui la bénédiction et la
paix.
— Comme par exemple l’exarque
Julien, grinça méchamment Moussa. Eh oui, je suis au courant de tes tractations
avec lui. Il m’a tout raconté quand le bateau qui le menait vers Constantinople
a été contraint par la tempête de faire escale à Tunis, où il vit désormais. Il
n’a pas envie d’être exécuté pour sa trahison ce qui est le sort qui l’attend
s’il se présente devant son empereur.
Weitere Kostenlose Bücher