Tarik ou la conquête d'Allah
fit chèrement
payer à Moussa Ibn Nosayr sa désobéissance de Tibérias. Si le wali avait attendu
l’avènement du nouveau calife, le fils d’al-Walid aurait hérité de la totalité
du butin pris aux Goths, mais il avait dû le partager avec les membres de sa
nombreuse parentèle selon les dispositions testamentaires prises par son père.
Chargé de chaînes, Moussa fut jeté pendant des mois au cachot dont on l’extirpa
un jour. Le malheureux crut à un acte de mansuétude de son souverain.
En fait, Soliman l’avait convoqué
pour lui annoncer la mort de son fils aîné, Abd al-Aziz, auquel son père avait
confié, avant de quitter Tulaitula, les fonctions de gouverneur. Grisé par le
pouvoir, celui-ci avait épousé Égilona, la veuve de Roderic, qui lui avait
donné un garçon, Azim. La manière hautaine dont il s’était comporté avec ses
compagnons les avait amenés à le dénoncer à la cour de Damas en l’accusant de
vouloir se faire proclamer roi. Abd al-Aziz avait été assassiné sur ordre du
calife alors qu’il priait dans l’église de Sainte-Rufina transformée en
mosquée. Sa tête, embaumée, avait été envoyée à Soliman. Quand son père vit ce
cruel trophée, il se contenta de dire : « Oui, je reconnais ses
traits. Je soutiens qu’il fut innocent et j’appelle sur la tête de ses
meurtriers une destinée plus juste. »
Ces fières et dignes paroles
impressionnèrent Soliman qui décida d’emmener Moussa Ibn Nosayr avec lui en
pèlerinage à la Kaaba [21] .
Atteint d’un mal incurable, le calife avait cédé aux objurgations des docteurs
de la Loi et décidé d’entreprendre ce voyage pour obtenir la rémission de ses
fautes. Sur le chemin du retour, les deux hommes firent étape à al-Qods pour
prier dans la mosquée construite par Omar sur l’emplacement du rocher où, selon
l’islam, Abraham avait voulu sacrifier son fils Ismaël et d’où le Prophète
s’était envolé sur sa jument al-Bourak pour gagner La Mecque. Tarik Ibn Zyad
les reçut fastueusement et le calife fut étonné des résultats que celui-ci
avait obtenus dans l’administration d’une province peuplée en majorité
d’Infidèles et réputée peu docile. Pour le récompenser, il l’autorisa à
regagner la cour de Damas où l’intéressé se tint soigneusement à l’écart des
intrigues et des complots sous le bref règne d’Omar Ibn Abd al-Aziz.
Cette prudence lui valut d’être
remarqué par le successeur de celui-ci, Yazid II. Conscient du danger que
représentait pour lui l’arrivée au pouvoir, à Constantinople, de Léon III
l’Isaurien, qui avait détruit la flotte arabe, le nouveau calife envisageait
sérieusement d’expédier en Asie Mineure les contingents arabes et berbères
stationnés en Ishbaniyah. Avant de prendre une décision aussi lourde de
conséquences, il décida d’envoyer sur place al-Samh Ibn Malik al-Khawlani, avec
pour mission de lui adresser un rapport détaillé sur l’état de la province. Il
jugea plus avisé de lui adjoindre Tarik Ibn Zyad en raison de sa parfaite connaissance
du pays. Quand al-Samh vint le trouver, le vieux chef berbère se contenta de
sourire. Durant le voyage, il se tint à l’écart des officiers qui entouraient
son supérieur et acquiesçaient servilement au moindre de ses propos ; le
moment n’était pas encore venu d’user de son influence et de son expérience.
Maintenant que leur périple touchait à sa fin, il pouvait passer à l’action.
Depuis le départ de Tarik, beaucoup
de choses avaient changé en Ishbaniyah. Tulaitula avait perdu son rang de
capitale au profit de Kurtuba et plusieurs gouverneurs avaient été nommés, puis
disgraciés ou assassinés. Le dernier wali en date, al-Hurr Abd al-Rahman
al-Thafaki, transmit avec un soulagement évident ses pouvoirs aux représentants
du calife. Pour éviter le sort tragique de ses prédécesseurs, il s’était
abstenu de prendre une quelconque initiative. Soucieux de complaire à Mohhamed
Ibn Yazid, le wali de Kairouan, al-Thafaki avait laissé des dizaines de
milliers d’Arabes et de Berbères d’Ifriqiya s’installer sur les terres
abandonnées par les aristocrates wisigoths partis chercher refuge dans les
montagnes du Nord. Ayant fait fortune en quelques années, ces colons étaient
bien décidés à ne pas abandonner leurs propriétés, voire les femmes indigènes
qu’ils avaient épousées.
Sur le conseil de Tarik, al-Samh
reçut les représentants de toutes les
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