Tarik ou la conquête d'Allah
glorieux passé.
— Si cela peut te faire
plaisir, je te l’accorde.
Au jour fixé par Isaac, ses frères
se rendirent en un long cortège jusqu’au palais qui résonna jusqu’au soir de
leurs tristes mélopées ; leurs gémissements tirèrent aux soldats les plus
endurcis des larmes de compassion. Puis ils repartirent en silence, les yeux
brillant d’une étrange fièvre, apaisés et sereins, comme s’ils avaient goûté
aux délices du paradis.
Moussa Ibn Nosayr avait hâte de
prendre un peu de repos car, depuis des mois, il n’avait pas cessé de guerroyer
contre ces Nazaréens fanatiques qui refusaient d’accepter leur défaite et de se
soumettre à la Loi du Prophète, sur Lui la bénédiction et la paix. Le siège de
la cité d’Augusta Mérita avait été particulièrement éprouvant. Des milliers de
soldats wisigoths s’étaient réfugiés dans cette ville et n’avaient pas hésité à
démolir ses plus beaux monuments pour renforcer les fortifications et établir
de solides redoutes en avant du pont de quatre-vingt-une arches qui
franchissait le fleuve à hauteur de la porte principale. Par ses espions, le
chef arabe savait que les prêtres avaient exhorté les fidèles à se sacrifier
pour la défense de la Chrétienté. Leurs sermons tournaient tous autour du même
thème : Augusta Mérita, avec sa basilique consacrée à sainte Eulalie, ne
pouvait capituler. Elle était la capitale religieuse de l’Hispanie et sa chute
plongerait dans le désespoir tous ceux qui avaient échappé jusque-là au joug
des Ismaélites.
En discutant avec un transfuge nommé
Récared, un noble wisigoth passé à son service, Moussa Ibn Nosayr avait appris
que la piété de ses habitants était décuplée par les fautes qu’ils avaient à se
faire pardonner. Ils craignaient pour le salut de leurs âmes. Eux-mêmes et
leurs pères avaient été de piètres chrétiens et l’imminence de la mort les
poussait à chercher le martyre qui les laverait de leurs trop nombreux péchés.
Piqué par la curiosité, Moussa Ibn Nosayr avait voulu en savoir plus. Après
tout, connaître l’adversaire aidait à mieux le combattre. Récared l’avait fait
beaucoup rire en lui racontant que les anciens cultes païens étaient restés
particulièrement vivaces dans cette région. Lui-même, enfant, avait sué sang et
eau en étudiant un traité de théologie rédigé par l’évêque Martin d’Augusta
Mérita où ce prélat s’en prenait aux superstitions de ses ouailles. D’un ton
gouailleur, Récared avait récité un long passage de ce livre intitulé De
correctiona rusticorum [18] :
Combien d’entre vous, qui ont
renoncé au diable, à ses anges, à son culte et à ses mauvaises œuvres, ne
sont-ils pas revenus au culte du démon ? Car brûler des cierges aux
pierres, aux arbres, aux sources et aux croisées de chemins, qu’est-ce d’autre
que de rendre un culte au diable ? Pratiquer la divination et l’art des
augures, honorer les jours dédiés aux idoles, qu’est-ce d’autre que de rendre
un culte au diable ? Les femmes qui invoquent le nom de Minerve, ceux qui
se marient le jour de Vénus, ceux qui attendent ce jour-là pour se mettre en
route, que font-ils sinon rendre un culte au diable ? Enchanter des herbes
pour les rendre maléfiques, procéder à cet enchantement en invoquant le nom des
démons, qu’est-ce d’autre que de rendre un culte au diable ? Et bien
d’autres choses qu’il serait trop long d’énumérer. Tout cela, vous le faites
après avoir été baptisés et avoir renoncé au diable : ainsi, revenant aux
mauvaises œuvres des démons, vous reniez votre foi et le pacte que vous avez
fait avec Dieu. Vous reniez le signe de la Croix que vous avez reçu avec votre
baptême, et vous vous montrez attentifs à d’autres signes qui sont les signes
du diable et que vous discernez dans le vol des oiseaux et les éternuements et
bien d’autres choses encore… De même, vous abandonnez la pratique de la sainte
incantation qui est le symbole du Credo, et vous oubliez l’oraison du Seigneur,
qui est le Pater Noster, pour vous adonner aux incantations diaboliques et aux
chants du démon.
Moussa Ibn Nosayr avait baillé
d’ennui en écoutant ce prêche. Son conseiller chrétien était décidément
incorrigible. Ce chien d’infidèle prenait un malin plaisir à faire étalage de
ses connaissances pour lui rappeler combien il lui était indispensable. Aussi
lui rétorqua-t-il
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