Tarik ou la conquête d'Allah
lien avec l’émir. Celui-ci n’était pas homme à
pardonner pareil geste. Il prendrait le temps nécessaire pour lever de nouveaux
contingents et attendrait le retour de la belle saison pour mettre le siège
devant Sarakusta.
Cela laissait à son wali quelques
mois de répit qu’il entendait utiliser pour conclure une alliance avec les Francs.
Il n’avait plus d’autre choix et sans doute était-ce là – un cadi à son
service le lui avait expliqué – la volonté d’Allah le Tout-Puissant et le
Tout-Miséricordieux. Suleïman confia la garde de la cité à ai-Hussein Ibn Yahia
al-Ansari et chargea ses deux fils, Matruh et Ashun de le surveiller. Avec
Abu I-Aswad, al-Ddjudhammi et un fort détachement de cavalerie, il se mit
en route, par petites étapes, vers l’Ifrandja non sans avoir pris la précaution
d’avertir les Vascons de l’itinéraire qu’il comptait emprunter. Leurs chefs,
qu’il recevait volontiers dans son palais et comblait de cadeaux, lui firent
savoir qu’ils garantissaient sa sécurité.
Le périple fut long et pénible. À
plusieurs reprises, Suleïman Ibn Yakzan Ibn al-Arabi faillit rebrousser chemin
tant l’Ifrandja lui déplaisait. Certes, dans toutes les villes où il
s’arrêtait, les autorités, qui avaient reçu des instructions du roi Charles,
lui réservaient un accueil courtois et veillaient à ce que lui et les siens ne
soient pas importunés par la foule des curieux accourus pour contempler ces
êtres étranges sur lesquels les plus folles rumeurs circulaient. Leurs hôtes se
montraient particulièrement sourcilleux en ce qui concernait les mets servis
aux voyageurs, du pain, du poisson et des fruits, à l’exclusion du porc qui
semblait être la viande la plus consommée dans ces contrées. Ils prenaient soin
de s’éloigner lorsque le wali et ses compagnons exprimaient le désir de réciter
leurs prières. Parfois, dans une grande ville, les voyageurs rencontraient un
marchand juif qui parlait leur langue pour s’être rendu en Ishbaniyah ou en
Orient. Celui-ci leur expliquait où ils se trouvaient et leur offrait de la
viande abattue selon les préceptes mosaïques.
À vingt jours de marche de Narbuna,
ils eurent l’impression de pénétrer dans un monde étrange, différent de celui
qu’ils connaissaient. Ils étaient surpris de la pauvreté des villes et de la
saleté des habitants qui s’expliquait par l’absence, la plupart du temps, de
bains publics. Les officiers et les fonctionnaires qu’ils rencontraient étaient
vêtus d’étoffes grossières et les premiers ne savaient ni lire ni écrire. Les
routes étaient mal entretenues et les autorités durent parfois leur fournir une
imposante escorte, preuve qu’elles contrôlaient mal la région traversée. Le
pays était couvert d’épaisses forêts habitées par des bandits et des serfs
fugitifs. Les grands domaines étaient rares et mal gérés. Autour d’un château,
le plus souvent une tour protégée par une palissade de rondins, une dizaine de
familles vivaient dans des masures misérables et cultivaient quelques champs de
blé, de seigle et d’orge. Hommes et bêtes partageaient la même pièce d’où
s’échappait une odeur épouvantable. Rien à voir avec les immenses propriétés
exploitées par des centaines d’esclaves en Ishbaniyah, notamment dans la région
de Kurtuba et d’Ishbiliya. Dans les villes, dont les rues étaient jonchées
d’immondices, les marchés étaient pauvrement approvisionnés et le wali fut
surpris de constater le nombre peu élevé d’artisans qualifiés.
Tout cela lui paraissait être de
mauvais augure et Abu I-Aswad dut déployer des trésors d’éloquence pour le
convaincre de poursuivre son voyage. Arrivés à Aix-la-Chapelle, la capitale du
royaume, les visiteurs apprirent que Charles était parti pour Paderborn en Saxe
afin d’y écraser une révolte. Ils furent donc obligés de continuer leur route
et attendirent plusieurs jours avant d’être reçus en audience par le monarque.
Charles était un homme vigoureux, de
haute taille, entouré de nombreux courtisans et de prêtres dont il sollicitait
fréquemment les avis. Par le truchement d’un clerc originaire de Narbuna qui
avait appris l’arabe, il interrogea longuement le wali de Sarakusta sur la
situation dans son pays et sur les garanties qu’il était en mesure de lui
offrir. Suleïman Ibn Yakzan Ibn al-Arabi expliqua que les populations étaient
lasses de subir le joug de
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