Tarik ou la conquête d'Allah
intérêt à
attaquer de front l’armée de Charles qui lui aurait infligé de trop lourdes
pertes dont Abd al-Rahman lui aurait tenu rigueur. En revanche, l’arrière-garde
constituait une proie facile et il usa d’un stratagème diabolique. Il fit
croire à Matruh et à Ashun, les fils de l’ancien wali, passés sous ses ordres,
que, le danger nazaréen écarté, l’émir, pour remercier Allah, avait décidé de
faire acte de clémence. En effet, le Prophète lui était apparu en songe et lui
avait annoncé que les divisions entre Musulmans étaient la cause de tous ces
malheurs. Il importait donc d’y mettre un terme par la réconciliation de tous
les protagonistes. Matruh et Ashun, qui s’estimaient heureux d’être restés en
vie et qui n’avaient pas, loin s’en faut, l’intelligence de leur père, crurent
naïvement ces sornettes confirmées par les cadis à la solde d’al-Hussein Ibn
Yahia al-Ansari. L’officier proposa aux jeunes hommes d’attaquer
l’arrière-garde pour libérer leur père. Pour mettre toutes les chances de leur
côté, les deux jeunes gens prirent contact avec les chefs vascons, les
informant que l’arrière-garde conduite par Roland transportait avec elle des
coffres remplis d’or et d’argent. Ils ajoutèrent que les chefs musulmans locaux
qui s’étaient compromis avec l’envahisseur, redoutant la colère d’Abd
al-Rahman, se joindraient probablement, avec leurs serviteurs et leurs biens,
au détachement afin de se réfugier en Ifrandja. C’était la perspective assurée
d’un formidable butin et les Vascons rassemblèrent toutes leurs forces valides
pour prêter main-forte aux Arabes de Sarakusta.
Charles et ses troupes traversèrent
sans encombre le défilé de Roncevaux après avoir envoyé des éclaireurs vérifier
que le passage était libre. Il dépêcha un petit détachement pour prévenir le
duc de la Marche de Bretagne que, dans ces conditions, il jugeait inutile de
l’attendre et qu’il continuait son chemin. Rassuré, Roland relâcha sa
vigilance. Il avait bien du mal à organiser la progression de l’arrière-garde
en raison du nombre élevé des chariots conduits par les paysans et les nobles
locaux qui s’étaient joints à lui. La route, étroite, était détrempée par les
pluies. Les charrettes surchargées s’embourbaient ou versaient sur le côté. Le
duc, furieux, chevauchait de l’avant à l’arrière, houspillait les retardataires
et s’efforçait de maintenir un semblant d’ordre dans ce convoi qui avançait
trop lentement à son goût. Il réalisa bien vite qu’à ce rythme, il lui faudrait
plus d’une journée pour traverser le défilé. Il décida donc de scinder en deux
l’arrière-garde. Les civils, protégés par une escorte de cavaliers dont il prit
le commandement, feraient étape à la tombée de la nuit et repartiraient dès les
premières lueurs de l’aube. Les fantassins et les archers, eux, avanceraient et
établiraient, en différents points, des postes de garde.
Épuisés, les réfugiés se
félicitèrent de cet ordre. Ils dételèrent les chariots, pansèrent et nourrirent
les bêtes et allumèrent de grands feux pour se protéger du froid. Des
sentinelles furent placées sur les pentes de la montagne mais regagnèrent le
camp pour se réchauffer dans la nuit, une nuit sans lune. Les Arabes et les
Vascons profitèrent de l’obscurité pour se cacher derrière les rochers
surplombant l’étroit boyau où les Francs avaient établi leur campement. Au
petit matin, tous ou presque étaient assoupis quand une nuée de flèches s’éleva
dans le ciel cependant que les Vascons bloquaient l’une et l’autre extrémité de
la passe en faisant rouler d’énormes blocs de pierre. Pris au piège, les
militaires et les civils résistèrent vaillamment, en vain. Tous furent
massacrés, à l’exception de Suleïman Ibn Yakzan Ibn al-Arabi que Roland, dans
un geste d’une étonnante noblesse, décida d’épargner et qui fut délivré par ses
deux fils.
À Sarakusta, une mauvaise surprise
l’attendait. Son adjoint, ai-Hussein Ibn Yahia al-Ansari, tout fier de son
titre de wali, le fit arrêter et l’informa que les cadis le jugeraient pour un
crime pire que l’apostasie : avoir sollicité le concours des Infidèles
contre d’autres Musulmans. Le verdict fut sans surprise : la mort. Et ce
fut ai-Hussein Ibn Yahia al-Ansari qui se chargea d’exécuter lui-même son
protecteur d’antan en présence de toute la
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