Tarik ou la conquête d'Allah
l’émir Abd al-Rahman et qu’elles feraient bon
accueil aux Francs si ces derniers s’engageaient à respecter les propriétés et
la liberté de culte. Un moine, qui se trouvait près du souverain, demanda au
gouverneur :
— Y a-t-il beaucoup de
Chrétiens dans ta province ?
— Assurément. Ils sont vingt
fois plus nombreux que nous.
— Ont-ils des églises ?
— Oui. Ils s’administrent selon
leurs propres lois et coutumes, moyennant le versement d’un impôt modéré.
— J’ai entendu dire qu’ils
étaient persécutés.
— Ce sont de pures calomnies.
Si tel était le cas, ils se seraient révoltés et auraient pris les armes contre
nous. Je connais bien leurs chefs et j’entretiens d’excellentes relations avec
eux. Quand un différend les oppose, ils sollicitent mon arbitrage car ils
savent que je suis un homme pondéré.
Après cette audience, durant
laquelle ils remirent comme otage à Charles Thalaba Ibn Ubaid al-Djudhammi,
Suleïman Ibn Yakzan Ibn al-Arabi et Abu I-Aswad eurent de longs entretiens avec
de hauts dignitaires francs, en particulier le sénéchal Eginhard, le comte du
palais Anselme, et un jeune homme, Roland, duc de la Marche de Bretagne, qui
paraissait être le favori de Charles. Plutôt bien fait de sa personne, cet
homme d’un naturel gai et affable était très curieux. Il se fit expliquer par
Abu I-Aswad les bases de l’islam et le questionna longuement sur le Prophète.
Al-Arabi put se rendre compte que les Francs ignoraient tout de leur religion
et qu’ils les prenaient pour des suppôts du démon.
Grand chasseur, Roland invita le
gouverneur de Sarakusta à l’accompagner dans les forêts entourant Paderborn
pour y traquer biches, cerfs, sangliers, ours et daims. Suleïman accepta, en
dépit de sa répugnance pour ce genre d’exercice. De plus, il supportait mal cet
environnement hostile et soupirait secrètement d’aise chaque fois qu’ils
faisaient halte dans une clairière. Il ne fut pas long à remarquer que les
Saxons, dès qu’ils apercevaient leur cortège, désertaient leurs villages et
gagnaient des cachettes préparées à l’avance. D’un air narquois, il demanda à
Roland :
— Pourquoi tous ces couards
détalent-ils à la vue de tes hommes ?
— Ce sont des païens, de
véritables sauvages, qui adorent une foule de divinités et n’hésitent pas à
pratiquer des sacrifices humains.
— De tels barbares
existent-ils ?
— Oui, mon ami, et les Francs
leur ressemblaient beaucoup jusqu’à ce que nos anciens rois soient instruits
dans les saints préceptes de l’Église. Il en ira de même pour ces malheureux.
L’immense majorité d’entre eux s’est fait baptiser. Ils sont devenus de loyaux
sujets du roi Charles. J’en veux pour simple preuve que certains de leurs chefs
nous accompagneront dans l’expédition que nous préparons pour t’aider à
renverser Abd al-Rahman.
— Mon cœur tressaille de joie
en apprenant cette nouvelle. Voilà des semaines que nous séjournons à la cour
et que nous attendons une réponse de Charles.
— Il m’a chargé officiellement
de t’avertir que nos armées se mettront en marche sous peu. Au début, il était
plutôt réticent et les maudits prêtres qui l’entourent lui conseillaient de te
faire arrêter, toi et tes compagnons. J’étais d’un avis contraire. Je suis un
guerrier et j’adore me battre. Les Saxons ont été écrasés et la garnison que
nous laisserons à Paderborn suffira à mater les derniers rebelles. Nous n’avons
pas l’intention d’aller plus loin vers l’est. Au-delà, se trouvent des terres
inhospitalières habitées par des peuples encore plus sauvages que ceux-ci. Ce
que tu nous as dit de ton pays a excité ma curiosité. Je rêve de découvrir
cette contrée et j’espère qu’elle est aussi belle que tu nous l’as décrite.
Avec mes compagnons, nous avons expliqué à Charles qu’il devait porter secours
à nos frères chrétiens qu’Abd al-Rahman veut massacrer. C’est cet argument qui
a emporté sa décision, du moins est-ce ce qu’il prétend. En fait, je crois
qu’il s’ennuie à Paderborn ou à Aix-la-Chapelle. Il n’a pas perdu la fougue de
sa jeunesse et est ravi d’entreprendre pareille aventure.
Dès le retour de la belle saison,
plusieurs milliers d’hommes, cavaliers et fantassins, suivis d’innombrables
chariots, se mirent en marche vers le sud. Suleïman Ibn Yakzan Ibn al-Arabi
laissait derrière lui Thalaba Ibn Ubaid
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