Tarik ou la conquête d'Allah
Chrétiens,
gênés par ce voisinage, ils répugnaient à assister à leurs offices dans la
chapelle mise à leur disposition et leur masjid , terme arabe utilisé
pour désigner la paroisse, connaissait de graves difficultés financières dont
l’évêque de Kurtuba ne voulait pas entendre parler.
Avant de mourir, Abd al-Rahman
tenait à marquer de son empreinte la cité en rénovant totalement le quartier
situé près du Dar al-Imara. Le vieux palais avait été détruit et, à sa place,
s’élevait un merveilleux édifice, ressemblant à ceux que l’on pouvait admirer à
Damas ou à Bagdad. Il désirait maintenant faire construire, sur le site de la
basilique, une mosquée spacieuse. Il lui fallait toutefois obtenir l’accord des
Chrétiens pour que ceux-ci lui cèdent leur lieu de culte.
Alvaro crut bon d’aborder lui-même
le sujet :
— Noble seigneur, mes frères
chrétiens m’ont chargé de solliciter de ta bienveillance une faveur. Comme tu
le sais, ils partagent avec les tiens le même lieu de culte. Cette situation
leur est devenue intolérable. De moins en moins de Chrétiens habitent ce
quartier et les autres répugnent à s’y rendre par crainte d’y essuyer des
quolibets. Ils souhaitent pouvoir disposer d’une église plus grande.
— Je n’y suis pas opposé.
— Tu oublies que la loi nous
interdit d’édifier de nouveaux lieux de culte.
— Mais elle leur permet d’en
avoir autant qu’auparavant. La situation que tu évoques est pour moi une source
de préoccupations. Je connais mes coreligionnaires et je sais à quelles
extrémités regrettables ils peuvent se laisser aller lors du mois sacré de
ramadan. À plusieurs reprises, j’ai ordonné à ma garde de punir sévèrement ceux
qui osent attaquer les tiens. Je projette moi-même d’édifier une grande mosquée
et j’ai, bien que le mot me répugne, un marché à te proposer. J’offre d’acheter
à tes administrés la partie qu’ils occupent pour quatre-vingt-cinq mille pièces
d’or. En contrepartie, je leur permets de construire, dans les quartiers de
leur choix, deux nouvelles églises dont les desservants seront à jamais
exemptés d’impôts.
— Abd al-Rahman, tu es un
prince avisé et je puis t’assurer que les Chrétiens de cette ville béniront ton
nom et te prouveront leur reconnaissance par un dévouement sans faille.
L’émir passa les dernières années de
sa vie dans son palais d’al-Rusafa, ne se rendant dans sa capitale que pour
surveiller l’avancement de la construction de sa mosquée, où il eut la joie de
pouvoir prier au début de rabi 172 [58] .
Au retour de la cérémonie, il s’alita, en proie à une forte fièvre. Les
médecins appelés à son chevet se querellèrent à propos du traitement le plus
approprié pour lui rendre la santé. Agacé, il les congédia. Il savait que,
bientôt, il quitterait ce bas monde et ne doutait pas un seul instant qu’Allah
le Tout-Puissant et le Tout-Miséricordieux l’accueillerait dans son paradis en
dépit de ses fautes. Il rendit l’âme le 25 rabi II 172 [59] et fut enterré le
jour même, au pied du palmier d’al-Rusafa auquel il avait jadis consacré un
poème.
Chapitre VIII
Sitôt constaté le décès de l’émir Abd
al-Rahman, son plus jeune fils, Abdallah, le seul présent à ce moment-là à
Kurtuba, avait dépêché Amr Ibn Zyad à Marida [60] où se trouvait Hisham, l’héritier désigné du trône. Il l’avait fait à
contrecœur. Ce jeune prince, gouverneur de Balansiya et réputé pour sa bravoure
au combat, n’avait jamais caché à son entourage son désir de succéder à son
père. Il n’ignorait pas que cela était impossible pour le moment et, à ses
yeux, mieux valait que monte sur le trône le faible Hisham, auquel le devin
juif Jacob Ben Obadiah avait prédit un règne très court. C’était d’ailleurs
intentionnellement qu’il avait envoyé Amr Ibn Zyad auprès du nouvel émir. Connu
pour la sollicitude qu’il manifestait envers Suleïman, en bonne logique, le
fils de Zyad devrait faire les frais d’une disgrâce éclatante. Humilié, le
vieux chef berbère se réfugierait dans ses terres et ne tarderait pas à
réclamer justice pour lui et les siens. Il deviendrait alors un allié docile,
prêt à seconder tout prince assez habile pour lui promettre de le rétablir dans
ses prérogatives et dignités.
De fait, Hisham accueillit plutôt
fraîchement le porteur de la funeste nouvelle. Il le tint
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