Tarik ou la conquête d'Allah
infligent à mes loyaux sujets des souffrances
inutiles. Aussi me suis-je résolu à rendre publique une décision prise il y a
longtemps et sur laquelle mes plus proches conseillers ont conservé un silence
absolu.
En principe, Suleïman, mon aîné,
devrait monter sur le trône d’Ishbaniyah. Je l’aime et le respecte, mais, à mes
yeux, il n’a pas les capacités requises pour cette fonction. Il mène une vie
dissolue et ne s’est jamais intéressé aux affaires de l’État, en dépit de mes
nombreuses demandes. J’ai cru que c’était la folie de la jeunesse et ai pris
conseil auprès d’hommes instruits appartenant à toutes vos communautés. Leur
réponse a été la même : « Quand ton fils Hisham reçoit des
compagnons, ce sont des gens doctes, des poètes et des historiens qui parlent
des exploits des héros et des questions militaires alors que ceux qui entourent
Suleïman sont des flatteurs, des déséquilibrés et des lâches. » Voilà
pourquoi Hisham sera appelé à me succéder même s’il est mon fils cadet. Qu’il
n’en tire pas orgueil ! Il est pieux et vertueux, ce ne sont pas forcément
des qualités qui conviennent à un roi. L’exercice du pouvoir est une chose
redoutable et il faut, le cas échéant, savoir se montrer impitoyable et
insensible. Il convient aussi bien de lire des traités savants que de
s’illustrer sur le champ de bataille. Or, si Hisham est un érudit, il n’est
pas, pas encore, un guerrier et c’est la raison pour laquelle je vous demande
de lui prêter main-forte et de lui porter assistance quand il devra faire face
à l’adversité.
Un long murmure d’approbation
parcourut les rangs de la foule. Tous les dignitaires du royaume étaient
soulagés par la décision de l’émir. Jusque-là, ils devaient faire preuve de
prudence et ménager chacun de ses trois fils, ne sachant pas lequel serait le
prochain roi. Désormais, les choses étaient claires. Bien des
« amis » de Suleïman se détournèrent de lui et devinrent de
véritables dévots, se rendant ponctuellement à la mosquée pour y faire leurs
dévotions et dénonçant aux cadis leurs anciens compagnons de beuveries.
Curieusement, le jeune prince déchu
de son titre d’héritier trouva de nouveaux amis en la personne d’Amr Ibn Zyad,
de Saïd Ibn Hadjdjad, fils du second mariage de la princesse Sara, de Jacob Ibn
Benjamin et du comte chrétien Alvaro. Ils s’efforcèrent de le distraire par
tous les moyens et l’invitèrent, à tour de rôle, dans leurs domaines. Informé
de leur conduite, Abd al-Rahman les convoqua :
— J’avoue ne pas comprendre
votre attitude. Vous m’avez toujours loyalement soutenu et vous avez été parmi
les premiers à me suggérer de choisir Hisham. À votre place, je serais auprès
de celui-ci pour tenter d’obtenir titres et pensions.
Amr Ibn Zyad répondit en leur
nom :
— C’est précisément parce que
nous sommes tes loyaux serviteurs que nous agissons de la sorte. L’absence de
réaction de Suleïman nous a intrigués, tout comme l’ingratitude de ses anciens
favoris. L’amertume peut le conduire à prendre des initiatives préjudiciables à
la prospérité de ce royaume. Nous avons donc décidé de le distraire et de le
surveiller dans l’espoir qu’il finira par se résigner à son sort, qui est
plutôt enviable. Je puis te dire que notre attitude commence à porter ses
fruits même si elle nous coûte cher car ton fils mène une existence
dispendieuse.
— Je ne veux pas que vous soyez
lésés. Vous remettrez à mon trésorier un état exact de vos dépenses et vous
serez amplement dédommagés. Par ailleurs, sachez que j’apprécie votre conduite
et qu’elle me réconforte grandement.
À l’issue de cette audience, Abd
al-Rahman s’entretint en privé avec le comte Alvaro d’une question délicate.
Depuis longtemps, Musulmans et Chrétiens se partageaient l’antique basilique
Saint-Vincent pour y prier. Or la population musulmane de Kurtuba avait
considérablement augmenté, notamment avec l’arrivée de nombreux immigrants
d’Ifriqiya, attirés par la prospérité économique du pays. Dans chaque quartier,
ils avaient pris soin d’édifier des mosquées. Toutefois, le vendredi, beaucoup
considéraient comme un honneur de pouvoir assister à la prière conduite par
l’émir dans le bâtiment jouxtant le Dar al-Imara dont la partie réservée aux
Musulmans était trop exiguë pour les accueillir tous. Quant aux
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