Tarik ou la conquête d'Allah
eut la surprise de constater qu’il était chargé de chaînes et
prisonnier. Le soir même, sa tête roula dans la poussière et fut envoyée à
Kurtuba où al-Hakam, pour frapper les esprits, la fit promener au bout d’une
pique. Puis elle fut enterrée, lors d’une cérémonie à laquelle avaient été
conviés tous les dignitaires du royaume, non loin de la tombe d’Abd al-Rahman,
dans les jardins d’al-Rusafa.
Le nouvel émir faisait ainsi preuve
d’une cruauté dont il donna de multiples exemples tout au long de son règne. Un
an après son avènement, les habitants de Tulaitula, décidément incorrigibles,
chassèrent leur wali et nommèrent à sa place un guerrier arabe, Ubaid Allah Ibn
Khamir. Celui-ci gouverna la ville en compagnie d’un poète, Ghirbib Ibn
Abdallah, auteur de vers mordants dans lesquels il tournait en dérision les
Omeyyades. Résolu à infliger un châtiment exemplaire à l’ancienne capitale
wisigothique, al-Hakam chargea un muwallad, Amrus Ibn Yusuf, wali de Talekade [77] ,
de réprimer cette rébellion. Grâce à des complicités dans la cité, Amrus Ibn
Yusuf se fit livrer Ubaid Allah Ibn Khamir et Ghirbib Ibn Abdallah, qui furent
exécutés sur-le-champ.
Dissimulant ses intentions
véritables, Amrus, devenu gouverneur, informa les notables de Tulaitula qu’ils
pouvaient continuer à vaquer à leurs occupations et que nulle amende ne serait
exigée d’eux. En signe de bonne volonté et pour gage de sa sincérité, il leur
annonça qu’il ne s’installerait pas dans la citadelle mais qu’il logerait, lui
et ses troupes, dans un château édifié en dehors de l’enceinte [78] , en fait une caserne
aux murs de pisé, qu’il fit bâtir par ses hommes.
Des mois durant, ses administrés,
qui croyaient avoir obtenu leur pardon, n’eurent qu’à se féliciter de sa
sagesse et de sa modération. Les affaires des commerçants étaient florissantes
et, deux fois par semaine, les paysans se pressaient sur les marchés pour y
vendre leurs produits. Les rues de la cité grouillaient d’une foule animée.
L’argent coulait à flots. Partout, l’on voyait des ouvriers affairés à démolir
les vieilles maisons wisigothiques pour les remplacer par des palais décorés
avec un luxe inouï. Quand le jeune wallad Abd al-Rahman fut envoyé dans le Nord
pour découvrir les régions qu’il gouvernerait un jour, les notables de
Tulaitula sollicitèrent une audience d’Amrus. Ils lui expliquèrent qu’ils
seraient profondément heureux de recevoir le fils d’al-Hakam. Cela faisait très
longtemps, lui dirent-ils, qu’un prince omeyyade ne leur avait rendu visite et
ils souhaitaient donner à celle-ci un faste particulier. Aucun bâtiment
particulier n’étant assez vaste pour accueillir tous les participants au
banquet qu’ils souhaitaient offrir en l’honneur de l’héritier du trône, ils
supplièrent Amrus d’organiser celui-ci dans l’enceinte de son château. Le wali
se fit longuement prier mais finit par donner son accord.
En fait, Amrus Ibn Yusuf était
parvenu à ses fins. Il avait endormi la méfiance de ses sujets et mit au point
avec al-Hakam un stratagème diabolique. Il acheta quantité de vivres, de
tentures, de soieries et de vaisselle d’or en prévision de la fête et passa des
heures à recevoir ceux qui n’avaient pas reçu d’invitation et qui protestaient
hautement contre cette injustice. À chacun d’entre eux, il accorda
satisfaction. Il leur demanda seulement une faveur : qu’ils consentent à
arriver par petits groupes, tout au long de l’après-midi, de manière à ce que
le wallad ait le temps d’accorder à chacun d’entre eux une audience
particulière ce qu’ils acceptèrent avec empressement.
La ville, dont les rues avaient été
décorées, était en pleine effervescence. Les tailleurs couraient pour amener à
leurs clients les somptueuses tenues qu’ils avaient confectionnées et
procédaient aux dernières retouches. En début d’après-midi, les premiers
invités, montés sur des chevaux superbement harnachés ou installés dans des
litières confortables, gravirent la colline montant au château devant laquelle
une garde d’honneur avait été disposée. Sans le savoir, ils marchaient à la
mort.
Amrus les attendait et avait pour
chacun d’entre eux un mot aimable avant de proposer à son interlocuteur de
gagner la salle d’audience. Il prenait la peine de l’escorter jusqu’à un
couloir menant aux appartements
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