Tarik ou la conquête d'Allah
à tous les
habitants de Kurtuba que leur souverain a pris devant toi un engagement
solennel : celui de ne jamais franchir le nouveau pont hormis pour partir
en guerre contre les Infidèles ou si l’intérêt du royaume l’exige. C’est un
bien faible sacrifice que je m’impose. Je reste la plupart du temps au Dar
al-Imara et ne le quitte que l’été pour chercher la fraîcheur des jardins
d’al-Rusafa. Quand le pont sera terminé, libre à tous ceux qui le souhaitent de
fouiller la forêt sur l’autre rive à la recherche de ce fameux palais. La
fatigue aura raison d’eux bien vite.
Hisham avait toutefois pris note des
soupçons qui pesaient sur sa piété. Aussi décida-t-il de prouver son dévouement
à la cause sacrée de l’islam et, accessoirement, d’éloigner de Kurtuba les
éléments les plus turbulents de l’armée, en lançant, chaque été, une saifa [67] contre les Chrétiens du Nord, dont l’audace ne cessait de croître. Le neveu
d’Alphonse I er , Vermudo, dit el-Diacono, c’est-à-dire « le
Diacre », avait rompu la trêve tacitement renouvelée jusque-là. Il avait
lancé plusieurs expéditions audacieuses contre les châteaux forts de la
frontière, massacrant leurs garnisons et faisant des centaines de captifs au
sein de la population musulmane. Ceux-ci avaient été réduits en esclavage ou
relâchés moyennant le paiement de très lourdes rançons par leurs familles.
Dès 175 [68] , une armée commandée
par le vieux général Ubaid Allah Ibn Othman remonta la vallée de l’Èbre jusqu’à
la région de l’Alaba [69] et extermina les cohortes mal équipées levées à la hâte par les seigneurs
locaux tandis que le général Yusuf Ibn Bukht écrasait les armées de Vermudo.
Profondément affligé par ce désastre, le souverain chrétien fit une longue
retraite dans un monastère et s’infligea de sévères mortifications qui eurent
raison de sa santé chancelante. Conformément à l’ancienne loi wisigothique, les
nobles élirent à sa place Alphonse II, dit « le Chaste », qui,
par prudence, transporta sa capitale à Oviedo où de nombreux palais sortirent
de terre pour abriter les courtisans.
Hisham n’entendait pas en rester là.
En 169 [70] la ville de Gérone avait été reprise aux Musulmans par les Francs, à la suite
d’une révolte des Chrétiens locaux. L’émir confia au général Abd al-Malik Ibn
Mughit le soin de lui restituer cette ville et de dévaster par la même occasion
la Septimanie voisine. Abd al-Malik s’avança jusqu’à Narbuna dont il ravagea
les environs et les faubourgs. Fils du roi Charles, le duc Louis d’Aquitaine se
trouvait alors en Italie pour y réprimer une révolte des Lombards. Il revint donc
au duc Guillen de Toulouse de repousser cette invasion. C’était, sans nul
doute, l’homme le moins qualifié pour le faire. La prospérité de Narbuna
portait ombrage à l’activité économique de sa ville. Il tarda à rassembler les
miliciens, pour la plupart des paysans, réticents à l’idée de quitter leurs
champs à l’approche des moissons et des semailles. Guillen fut donc défait à
plate couture sur les bords de l’Orbieu, près de Villedaigne. Les soldats
d’Hisham firent des milliers de prisonniers. À lui seul, l’émir, qui avait
droit à un cinquième du butin, reçut quatre mille cinq cents captifs qui furent
intégrés dans sa garde personnelle. Le reste fut vendu aux enchères sur la
place du marché. Cet afflux de captifs provoqua une baisse considérable du prix
de la main-d’œuvre servile, à la grande fureur des marchands juifs de Verdun
empêchés momentanément d’écouler leur « production » en Ishbaniyah.
Pour remercier Allah de ce triomphe,
Hisham décida de payer sur sa cassette personnelle le pèlerinage à La Mecque et
à Médine des principaux dignitaires religieux de son royaume, en particulier
Zyad Ibn Abd al-Rahman Shabatun, Yahya Ibn Mudar, Isa Ibn Dinar et Yahya Ibn
Yahya al-Laithi. Munis d’une grosse somme d’argent, les pèlerins prolongèrent
leur séjour sur place, s’installant à Médine pour y suivre les cours du plus
célèbre cadi du temps, Malik Ibn Anas, qui avait codifié le droit islamique
dans un recueil, al-Muwalta (« la voix aplanie »), dont de
nombreuses copies, plus ou moins fidèles, circulaient dans tout le Dar
el-Islam.
Les Andalous furent séduits par la
rigueur de ce maître à penser, défenseur d’une orthodoxie réfractaire à toutes
les
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