Tarik ou la conquête d'Allah
réservés au prince. Dès qu’il franchissait le
seuil, l’homme était ligoté, bâillonné et conduit, par un dédale de corridors,
jusqu’à une fosse située à l’autre extrémité de l’enceinte devant laquelle il
était égorgé et son corps jeté tel le cadavre d’un animal nuisible. Amrus Ibn
Yusuf avait soigneusement minuté le déroulement de cette audience macabre de
telle sorte que chaque invité, introduit après un délai raisonnable, ne se
doutait de rien. À la nuit tombée, près de huit cents personnes avaient trouvé
la mort lors de la wakat al-hufra, la « Journée de la fosse ».
Le lendemain, Tulaitula, cernée par la troupe, apprit le drame dont la
citadelle avait été le théâtre. Des demeures des notables s’échappaient des
cris et des gémissements de douleur cependant que la populace commentait, à
voix basse, l’événement qui glaça d’horreur tous les sujets de l’émir.
Seul Amr Ibn Zyad eut le courage de
protester auprès d’al-Hakam. Il se rendit au Dar al-Imara et exigea d’être reçu
par le souverain auquel il tint des propos sévères :
— Noble seigneur, tu as sur
nous droit de vie et de mort et nul ne le conteste. Tu peux d’ailleurs me faire
exécuter si mes paroles te déplaisent et je n’opposerai aucune résistance. J’ai
servi ton père et ton grand-père loyalement et j’ai agi de même avec toi. Ce
qu’Amrus Ibn Yusuf a fait à Tulaitula est une ignominie. S’il était nécessaire
de châtier les traîtres, il fallait le faire lors de l’entrée de tes troupes et
non pas attendre plusieurs mois. Quand ils ont su que ton fils se rendait dans
le Nord, les habitants ont souhaité organiser une fête en son honneur. D’après
mes informateurs, ils voulaient te manifester publiquement leur loyauté et se
repentir de leurs funestes erreurs passées. S’ils avaient été traités en amis,
tu n’aurais pas eu de meilleurs alliés qu’eux. Aujourd’hui, leurs familles
crient vengeance et prêteront assistance à tous ceux qui se prétendront tes
ennemis.
— C’est bien la preuve que j’ai
eu raison de sévir contre eux.
— Pardonne ma franchise, mais
tu as manqué de discernement. Je me suis promené dans les rues de Kurtuba et
j’ai été consterné par les propos qu’on tenait à ton sujet. Tu étais populaire,
tu ne l’es plus. On te craint, on te redoute et la seule évocation de ton nom
sème l’effroi. Cela m’inquiète. Tu vis à Kurtuba au milieu d’une population
désormais hostile qui pourrait se révolter contre toi.
— Amr, fit al-Hakam, ta
franchise t’honore et contraste avec les viles flatteries de mes courtisans qui
prétendent que cette tuerie a satisfait mes sujets. Tu es plus réaliste et tu
ne me caches pas la vérité, je t’en remercie. Rassure-moi : tu n’entends
pas t’opposer à moi ?
— Tout mon passé atteste du
contraire.
— Je vais éprouver ta fidélité.
Serais-tu prêt à simuler ta disgrâce afin de me renseigner sur ceux qui
seraient tentés de conspirer contre moi et viendraient te voir pour obtenir ton
aide ?
— Je suis un être simple. Je ne
recherche ni les honneurs ni l’argent ni la vie à la cour. Je préfère résider
dans mes domaines dont la bonne gestion nécessite une surveillance constante.
Je ne fais guère confiance à mes intendants.
— Tu as raison, grinça
al-Hakam, je suis malheureusement bien placé pour le savoir.
— Fais donc comme si ma
démarche avait provoqué ton courroux et que tes crieurs répandent la nouvelle
que je suis banni de Kurtuba et de ses environs. Mon fils Marwan, officier dans
ta garde, te transmettra régulièrement les informations que j’aurais
recueillies.
Abdallah et ses deux fils, Ubaid
Allah et Abd al-Malik avaient été reçus plutôt froidement à Aix-la-Chapelle. Le
souverain franc se souvenait avec amertume de la désastreuse expédition durant
laquelle le duc de la Marche de Bretagne, Roland, avait trouvé la mort. Il
apprécia d’autant moins la venue des princes omeyyades qu’il avait envoyé une
ambassade, conduite par un juif nommé Isaac, au calife de Bagdad Haroun
al-Rashid avec lequel il espérait conclure un traité de paix en bonne et due
forme. Or le monarque abbasside pouvait prendre ombrage de la présence des
Andalous. Ceux-ci expliquèrent à leur hôte que tout ce qui pouvait affaiblir
l’Ishbaniyah réjouirait le calife et ils renouvelèrent leur demande d’aide. Les
fils de Charlemagne, qui
Weitere Kostenlose Bücher