Tarik ou la conquête d'Allah
rêvaient de prouesses guerrières, persuadèrent leur
père, couronné empereur par le pape Léon III, qu’étant le successeur
d’Auguste, de Trajan et d’Hadrien, il avait la mission sacrée de faire régner
partout la pax romana et de ramener dans le giron de son empire les
anciennes provinces romaines. Méfiant, Charlemagne refusa de fournir des
troupes aux Espagnols, mais leur remit une forte somme d’argent pour qu’ils
puissent lever une armée de mercenaires et d’aventuriers attirés par la
perspective d’un riche butin.
Le fils de Pépin s’était montré
prudent, à juste titre. À la tête de ses contingents, Abdallah s’empara de
Washkha mais en fut délogé par le chef berbère Bahlul Ibn Marzuk.
Nommé wali de Sarakusta, cet
ambitieux n’avait pas tardé à se proclamer indépendant avant d’être chassé de
la ville par les deux meilleurs généraux de feu l’émir Hisham, Abd al-Karim et
Abd al-Malik Ibn Mughit, brouillés avec al-Hakam. Bahlul Ibn Marzuk s’était
alors présenté en victime des deux félons et, pour prouver sa bonne foi, avait
pourchassé Abdallah et ses fils jusque sous les murs de Balansiya. Toutes leurs
demandes de secours envoyées à Aix-la-Chapelle restèrent sans réponse. Désireux
de ne pas connaître le sort tragique de son frère Suleïman, Abdallah ouvrit des
négociations avec son neveu par l’entremise du fqih [79] berbère Yahya Ibn
Yahya al-Laithi, connu pour ses talents de diplomate. L’émir, soucieux de faire
oublier la cruelle Journée de la fosse, se montra conciliant. Son oncle obtint
la charge de wali de Balansiya jusqu’à la fin de ses jours, à condition de ne
jamais quitter cette ville. Quant à ses deux fils, Ubaid Allah et Abd al-Malik,
ils furent invités à la cour de Kurtuba et mariés aux deux sœurs d’al-Hakam,
Aziza et Umm Salma.
Furieux de cet arrangement, Bahlul
Ibn Marzuk tenta de soulever les Berbères de Washkha, mais fut tué par Amrus
Ibn Yusuf. Pendant plusieurs mois, la paix régna à l’intérieur des frontières
de l’Ishbaniyah. Al-Hakam en profita pour lancer plusieurs offensives contre
les Nazaréens qui avaient relevé la tête depuis que les Francs avaient repris
Barcelone. Sous les ordres d’Abd al-Karim et Abd al-Malik Ibn Mughit rentrés en
grâce, le prince Ubaid Allah dévasta l’Alaba et rapporta à Kurtuba de nombreux
captifs. Les plus vigoureux furent incorporés dans la garde personnelle de
l’émir, composée uniquement de Chrétiens. Comme ils ne parlaient pas
l’arabe – et ne pouvaient l’apprendre, sous peine de mort, la population
les surnommait « les Muets » et s’écartait d’eux quand ils
patrouillaient dans les rues de la cité.
Celle-ci avait bien changé. Sa
population avait augmenté à ce point qu’elle était à l’étroit dans les limites
de l’ancienne enceinte wisigothique. Dans certains quartiers, plusieurs
familles s’entassaient dans une seule pièce et devaient s’estimer heureuses
d’avoir un toit, contrairement aux mendiants et aux indigents qui vivaient sous
des abris de fortune près de la porte du pont.
Rêvant de plus de confort, de riches
commerçants et des fonctionnaires travaillant au palais s’étaient établis sur
la rive gauche du fleuve, là où s’élevait jadis une bourgade appelée Shakunda [80] .
Ce nouveau quartier était désormais connu sous le nom du Rabad, « le Faubourg », et le nombre de ses habitants tripla en quelques
années. Arabes, Berbères, muwalladun et Juifs y vivaient en bonne entente et
plusieurs marchés attiraient chaque jour citadins et paysans. Ils constituaient
une source appréciable de revenus pour le Trésor public dont les agents, des Chrétiens
le plus souvent, surveillaient activement les transactions et se montraient
très zélés pour percevoir les multiples taxes exigées des boutiquiers et des
artisans. D’année en année, la pression fiscale se renforça et le résultat ne
se fit pas attendre. Le Rabad devint un foyer de dissidence. À la tête des
mécontents, se trouvait un ancien élève de Malik Ibn Anas, Yahya Ibn Mudar,
réputé pour sa piété et pour son rigorisme. Il avait fait édifier à ses propres
frais une mosquée où, chaque vendredi, il dirigeait la prière et prononçait des
sermons enflammés qui alarmèrent Amr Ibn Zyad quand ses informateurs les lui
rapportèrent.
Son inquiétude décupla lorsqu’on lui
annonça la visite de Mohamed Ibn al-Kasim, un lointain cousin
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