Tarik ou la conquête d'Allah
s’emparer facilement du pont et
de la porte située à son extrémité qui permet d’accéder au quartier où se
trouve ton palais. Ta garde, aussi importante soit-elle, sera prise au piège et
ne pourra pas agir. Voilà pourquoi tu dois faire ouvrir dans l’enceinte une
nouvelle porte. J’ai repéré son emplacement. Il y a un gué, au Sud, qui
aboutit, de l’autre côté du fleuve, à un terrain broussailleux, le dimnat
al-khashshabin, où il m’est arrivé de jouer dans mon enfance. En empruntant ce
gué, tes soldats pourront prendre à revers le Faubourg et fondre sur les
révoltés.
— Considère que les travaux
commenceront demain.
— Après ma mort, tu auras peu
de personnes de confiance autour de toi, hormis mon fils Marwan et quelques
conseillers dont je t’ai dressé une liste. Un homme mérite que tu t’intéresses
à lui, le comte Rabi.
— Son père, Tedulfo, m’a
loyalement servi et lui-même a su se rendre indispensable.
— À juste titre car le peuple
redoute les Muets. Ce sont d’excellents soldats, il t’en faut plus. Tu dois te
procurer à tout prix de nouvelles recrues, soit en lançant des expéditions
contre les Nazaréens du Nord, soit en les achetant à des marchands juifs.
Contacte le chef de leur communauté, Itshak Ibn Jacob, c’est un très vieil ami
et il peut s’adresser à ses coreligionnaires de Verdun. Le roi des Francs n’a
pas achevé de pacifier la Saxe et leurs entrepôts regorgent de captifs. Ils
seront ravis de pouvoir s’en débarrasser.
Peu de temps après cette entrevue,
Amr Ibn Zyad s’éteignit paisiblement dans son palais de Kurtuba. Al-Hakam n’eut
qu’à se féliciter d’avoir bénéficié de ses conseils. Quelques mois plus tard,
une nouvelle émeute, provoquée par une décision malencontreuse du nouveau sahib
al-suk, éclata dans le Faubourg, montrant que les esprits ne s’étaient pas
calmés. L’émir, qui assiégeait Marida, revint à bride abattue dans sa capitale
et fit exécuter tous ceux qui avaient été trouvés les armes à la main. Dans la
foulée, il fit renforcer la muraille et percer la porte dont lui avait parlé le
chef berbère.
Pendant une dizaine d’années, le
Rabad resta calme. Cela était dû en partie à l’influence modératrice exercée
par deux hommes, Yahya Ibn Yahya al-Laithi et Talut Ibn Abd al-Djabbar. Ces
éminents dignitaires religieux ne cachaient pas les sentiments mitigés que leur
inspiraient certains actes du souverain, notamment la protection qu’il
accordait trop généreusement selon eux aux Nazaréens et aux Juifs. Toutefois,
ils prêchaient la soumission aux lois et rappelaient aux jeunes écervelés le
sort réservé à leurs prédécesseurs. Les campagnes menées contre les Chrétiens
du Nord furent toutes couronnées de succès, notamment celle de l’année 200 [81] durant laquelle Garcia, l’oncle du roi Alphonse II, fut tué et plusieurs
centaines de ses soldats faits prisonniers et immédiatement versés dans la
garde personnelle de l’émir dont le commandement avait été confié au comte
Rabi.
Ce renfort ne fut pas de trop quand
éclata, le 13 ramadan 202 [82] ,
une émeute d’une exceptionnelle gravité. Durant le mois de jeûne, le Faubourg
connaissait traditionnellement une animation rare. Les marchés, bien
approvisionnés, étaient fréquentés par une foule qui dépensait sans compter et
les marchands savouraient à l’avance les copieux bénéfices qu’ils engrangeraient.
Bien entendu, la privation de nourriture et de boisson dans la journée rendait
les fidèles irritables, à tel point que Juifs et Chrétiens préféraient,
certains jours, ne pas se montrer en public.
Les agents du fisc y étaient
pourtant bien obligés et leur présence suscitait de nombreuses manifestations
de mécontentement, notamment depuis que le comte Rabi avait annoncé
l’institution de nouvelles taxes destinées – c’était le motif
officiel – à financer une campagne contre Alphonse II. Un jour, un
Muet se rendit au Rabad pour y faire aiguiser son épée. L’artisan auquel il
s’était adressé était fatigué par le jeûne et refusa d’exécuter sur-le-champ la
tâche qu’on lui demandait. Furieux, le soldat le transperça de son épée avant
d’être lui-même mis en pièces par la foule déchaînée. Par un malheureux
concours de circonstances, le cortège d’al-Hakam se présenta à ce moment à
l’entrée sud du Faubourg. L’émir était parti chasser ce qui
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