Templa Mentis
embrouillement démoniaque, traqué des meurtriers avec un flair qui ferait verdir d’envie les plus fins liemiers 8 , asséna Huguelin comme s’il côtoyait le mire depuis trois siècles.
— Commençons sitôt. À l’évidence, ce Jean Le Chauve partageait le logement du père Simonet de Bonneuil ? Je suggère que nous nous y rendions dès après avoir dégusté le cidre si aimablement offert par dame Blandine.
— Oui-da. La cure.
1 - L’origine habituellement donnée à cette expression (celui qui mordait un doigt du mort pour s’assurer qu’il n’était pas juste inconscient) ne semble pas être la bonne. Deux autres explications paraissent plus convaincantes. « Croquer » viendrait de l’ancien français « faire disparaître ». Autre possibilité : une altération de « crocher ». Ceci remonterait à la grande peste, durant laquelle on tirait les cadavres avec une longue tige terminée d’un croc afin d’éviter tout contact avec eux.
2 - De l’ancien francisque « bera » qui signifiait « civière ». En d’autres termes, le brancard pour porter les morts en terre.
3 - Rigidité cadavérique.
4 - Très surpris, stupéfait.
5 - Faire restituer sous la contrainte à quelqu’un ce qu’il a pris de façon illicite.
6 - Ou, de nos jours : trouver un couteau. Rester stupide ou maladroit face à une situation. La même idée est déclinée dans diverses vieilles expressions françaises.
7 - Fouiller.
8 - Grand chien de chasse doté d’un flair exceptionnel. A donné « limier ». Au figuré : détective, policier.
XXIII
Saint-Agnan-sur-Erre, un peu plus tard
L Le désordre qui régnait dans la maisonnette située en bout de village, à l’opposé de celle des Leguet, ne surprit qu’à moitié Druon. Comme dans l’église, des feuilles de papier jonchaient le sol de la petite salle d’étude et une corne à encre avait versé sur la table de travail, souillant de noir la plume à écrire.
Il examina une à une les cinq esconces éteintes, leurs réservoirs d’huile secs. Leurs flammes avaient dû brûler jusqu’à étouffer, faute de combustible. Or l’habitude voulait que l’on alimentât les lampes à huile sans tarder, de sorte à ne pas se retrouver soudain plongé dans l’obscurité. En d’autres termes, Jean Le Chauve avait pris l’escampe, sans même les éteindre. Une fuite précipitée. Pourquoi ? Son meurtrier avait-il pénétré céans, le menaçant, le terrorisant ? Ou alors Jean Le Chauve avait-il senti le danger avant qu’il ne fonde sur lui et fuie ?
— Le secrétaire portait-il un mantel ? Qu’avez-vous retrouvé à proximité du corps ? demanda Druon à Anchier Vieil.
— Si fait, un mantel de burel. Nous n’avons rien vu d’autre, ni bougette, ni esconce, ni bâton de marche.
— Connaissez-vous le serf berger ?
— Certes. Enfin… je connais à peu près tout le monde dans ce coin de terre.
— D’honnête réputation ? insista le jeune mire.
Vieil comprit enfin l’allusion et rougit de ce nouvel étalage d’absence de perspicacité.
— Oh, je vois… Non, pas homme à détrousser un cadavre, quoique fort pauvre.
— Si donc Le Chauve possédait quelques valeurs sur lui, elles auraient été dérobées par son assassin. Nous verrons. Revenons à ce que nous savons. Il a donc pris le temps de jeter un mantel sur ses épaules avant de fuir. On peut en conclure qu’il se savait menacé à brève échéance mais pas sur l’instant. En d’autres termes, lorsque le meurtrier a pénétré céans, Le Chauve s’était déjà volatilisé.
— Puissante déduction, approuva Vieil, admiratif.
Ce qui lui valut aussitôt un rayonnant :
— Ne vous l’avais-je pas affirmé ? de la part d’Huguelin.
— Visitons les autres pièces, avant de nous atteler à la lecture des documents, suggéra le mire.
Ils passèrent dans la salle commune, de taille modeste en dépit de son imposante cheminée. L’ameublement, limité à l’essentiel, une huche 1 , un buffet 2 en bois de piètre qualité et une table flanquée de bancs, trahissait l’austérité du maître des lieux. Le père Simonet ne semblait pas avoir été homme à profiter personnellement des impôts levés par l’Église ou des offrandes récoltées auprès des fidèles, ni même de la fortune familiale dont il avait hérité.
Aussitôt, Druon remarqua le bol de terre posé sur la longue table en bois sombre à côté d’un couteau,
Weitere Kostenlose Bücher