Templa Mentis
par différents paramètres dont la température ambiante, la corpulence et le vêtement du défunt, débute par une raideur du cou environ trois heures après la mort et se propage vers le bas du corps. Elle est complète six à douze heures après le trépas et persiste plusieurs heures en cet état. Elle se résout peu à peu, en commençant par le cou…
— Au bout de combien de temps ? voulut savoir Blandine.
— Variable, là aussi, surtout dans les conditions de grande fraîcheur nocturne actuelle. Un jour et demi après le trépas pour la flaccidité de la nuque. Le corps redevient tout mol en une autre demi-journée.
— En d’autres termes, et puisque le cou de Jean demeurait bien roide, il fut en effet occis à peu d’intervalle du père Simonet. Remarquable science que la vôtre, messire, conclut l’apothicaire.
— J’en suis tout ébaubi 4 , admit Anchier, admiratif.
Soulagé et très désireux de se décharger entre mains expertes de cette affaire dans laquelle il redoutait de patauger lamentablement, Anchier demanda, après un silence court mais pesant :
— Selon vous monsieur, que faire, maintenant ?
Un peu interloqué, Druon hésita, son regard passant de Vieil au couple Leguet. Il convenait de rester prudent. Y aller de données scientifiques était aisé. En revanche, enquêter sur deux meurtres, dont celui d’un prêtre qu’il ne connaissait pas, dans une bourgade où il avait mis les pieds la veille, pouvait se révéler dangereux pour sa sécurité et celle d’Huguelin. Il ne devait jamais oublier que l’Inquisition le recherchait. Tout excès de notoriété risquait de mener ses poursuivants jusqu’à eux. De plus, si les gens oublient promptement les services qu’on leur a rendus, ils ont la mémoire fort longue lorsqu’on a échoué à les satisfaire. Druon ne tenait guère à encourir le courroux du village s’il ne parvenait pas à identifier le maudit coupable de ces monstruosités. Or, pour l’instant, il ne possédait pas le moindre début de piste ou d’hypothèse, hormis celle d’un vil voleur, peut-être surpris par le prêtre et son scribe.
— Messire secrétaire du bailli, votre confiance m’honore et me va droit au cœur. Cela étant, mon art se limite à la médecine. J’observe, j’analyse, je compare et je déduis. Je me montrerais donc présomptueux à me vouloir substituer à votre charge et votre expertise, d’autant que je ne connais le village que d’hier. Quelle légitimité aurais-je donc à interroger les uns et les autres ?
Huguelin ouvrit la bouche, sans doute afin de rappeler à son maître ses récents succès de déductions. Un regard dissuasif de celui-ci lui fit ravaler ses paroles.
— Ah, messire, geignit Anchier. C’est que, je n’ai récupéré cette charge que depuis cinq ans, durant lesquels, ainsi que je vous l’ai confié, je ne me suis frotté à aucun meurtre, si je puis dire. J’ai excellé à découvrir le vilain voleur de trois gorets, qui les avait poussés dessous les mamelles de sa truie pour faire accroire qu’ils sortaient d’elle. J’ai fait rendre gorge 5 à un tavernier indélicat qui coupait son vin d’eau. Bref, ce genre de hauts faits, ironisa-t-il sur son propre compte. De grâce, aidez-moi, aidez-nous ! Je ne puis pour l’instant supplier le seigneur Louis d’Avre de se déplacer, termina-t-il dans un murmure.
— Pourquoi cela ? s’enquit Leguet à mille lieues des délicatesses politiques.
Anchier Vieil pinça les lèvres. Druon répondit à sa place :
— Parce que, messire apothicaire, le seigneur bailli est homme de grande importance. Il représente M. Charles de Valois, frère du roi, dans le comté du Perche. En dépit de la robe d’un des trucidés, il serait insensé de le faire venir céans pour lui servir une charade si embrouillée que tous y perdraient leur latin. Malgré ses immenses et nombreuses qualités, je n’ai pas eu, à le côtoyer, le sentiment que la patience faisait partie de ses vertus cardinales. Débroussailler l’affaire revient donc à son secrétaire, Anchier Vieil. Il fut nommé par messire d’Avre pour s’acquitter de cet office.
L’intéressé approuva d’un hochement de tête lugubre avant de bafouiller :
— Imaginez… le mécontentement, peut-être même l’ire de… messire d’Avre… s’il se rend compte qu’il a placé sa confiance… en un benêt… Oooh, je n’aurais jamais dû accepter une telle charge !
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