Templa Mentis
renversé la corne… est-ce à penser que ce hâtif ou maladroit cherchait fébrilement quelque chose sur la table de travail ? remarqua Huguelin.
— Décidément… Je suis bien aise d’avoir si judicieux apprenti, le félicita Druon. À la vérité, je n’en serai pas autrement étonné. Rien dans cette maisonnette, fort modeste, ne tenterait un voleur au point de tuer. Or des feuilles jonchaient le sol, ainsi que celui de la petite pièce de l’église. Me vient donc une nouvelle hypothèse que je vous supplie de considérer avec la plus extrême circonspection.
— Nous sommes tout ouïe, messire mire, affirma Anchier Vieil.
— Reprenons notre intrus. Il pénètre céans alors que Jean Le Chauve soupait. Surprise et vraisemblablement peur de celui-ci. L’intrus exige que le secrétaire lui remette quelque chose, un document, pourquoi pas. Jean prétend qu’il n’est pas en sa possession mais à l’église, où il sait le père. L’intrus s’y rend. Sans doute une vive discussion s’ensuit-elle avec le prêtre, auxquels tous accordent un caractère bien trempé. L’intrus assassine le vieux prêtre et fouille la petite salle d’étude située après le narthex, en vain. Furieux, il revient à la cure mais Jean Le Chauve a profité du court répit pour prendre la fuite. Avec ce que convoitait l’assassin ? Nul ne le sait puisque rien ne fut retrouvé alentour du cadavre. Jean est rattrapé dans la forêt et occis à son tour.
— Tout cela me semble si convaincant que je suis presque certain d’y voir la vérité, commenta Anchier.
— Gardons-nous des « presque certitudes », mon ami. Elles se révèlent parfois d’une désolante fausseté. Toutefois, elles permettent d’avancer en raisonnement. Examinons donc les documents qui demeurent.
Ils se massèrent dans la petite salle d’étude et Druon passa en revue les rouleaux et feuilles entassés sur la table ou tombés au sol, certains rédigés en latin, d’autres en langue vernaculaire 2 .
Tous les textes traitaient d’angéologie 3 . Certains, peu nombreux, évoquaient l’archange Gabriel, chef et prince de la milice céleste. Si le premier degré des anges 4 ne semblait pas avoir particulièrement arrêté le père Simonet de Bonneuil, le deuxième 5 occupait la plupart des écrits qu’ils parcoururent, notamment les Dominations chargées du rapprochement de l’influence divine et du genre humain ainsi que de montrer aux gens d’Église le chemin de leur foi, tout en les préservant du doute. Intérêt légitime de la part d’un prêtre.
Deux écritures très distinctes couvraient les feuillets. L’une, large et embrouillée, montait, puis descendait, les lettres se recouvrant parfois. L’écriture des textes qui jonchaient le sol de la petite salle de l’église. L’autre, fine, d’une sidérante régularité, évoquait une belle main de copiste. Le scribe, sans doute.
Huguelin, qui avait déchiffré quelques passages en fronçant les sourcils, remarqua :
— Euh… je n’y comprends goutte !
— Discussions pointues, pour ne pas dire pointilleuses, d’experts. Les religieux ont les leurs, et les médecins d’autres. Ce qui importe, au fond, se résume au fait que les premiers sachent bien soigner les âmes et les seconds les corps. Dans ce dernier cas, le chemin à parcourir est fort long, persifla Druon en pensant aux sornettes débitées d’un ton docte par la plupart de ses confrères, ne souffrant pas la moindre contradiction.
— Ceci serait-il de nature à attiser la convoitise d’un voleur jusqu’à le pousser aux meurtres ? demanda, dubitatif, Anchier Vieil en brandissant un des rouleaux.
— J’en serais ébaubi. À moins d’imaginer un religieux privé de sens, jaloux ou furieux des avancées du père Simonet, répondit Druon peu convaincu. Il faudrait alors admettre qu’un homme de Dieu en poignarde un autre. La bribe est dure à avaler ! Quoi qu’il en soit, les larcins impies commis dans l’église n’étaient qu’une piètre mystification destinée à nous berner. À nous faire accroire à un meurtre de vaurien, ainsi que je m’en suis douté.
— Oooohhhh, geignait Anchier.
— Allez-vous bien ?
— Si fait… Cependant, mille questions m’assaillent. Le meurtrier a-t-il trouvé ce qu’il cherchait, ce qui coûta la vie à deux innocents dont un homme de robe ?
— Je l’ignore.
— Mais… je m’effarouche d’y songer, mais… Selon votre thèse,
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