Templa Mentis
dispenser me mette en péril.
De grosses larmes dévalèrent soudain sur les joues pâles du garçonnet. Stupéfait par ce fulgurant chagrin, Druon s’agenouilla et serra l’enfant contre lui en murmurant :
— Que se passe-t-il ?
— Euh… Euh… Ben moi… je doute aussi… Parfois… Je crains que vous m’abandonniez… Oh, je sais bien que je suis une charge, une bouche à nourrir, un pauvre limaçon qui ne vous aide guère… Et pourtant, je vous aime plus que tout… et…
— As-tu bien perdu le sens ? s’insurgea Druon. Jamais je ne t’abandonnerai, plutôt périr ! Tu n’es pas une charge. Certes, tu as robuste appétit. Néanmoins, tu es un privilège, une bénédiction que Dieu eut l’extrême générosité de placer sur mon chemin. Allons, cessons ces sornettes ! Jeune homme, retroussons nos manches, la tâche sera rude. De fait, ne te conduis pas en pauvre limace. J’ai besoin de toi.
La gentille semonce porta. Huguelin renifla et sourit :
— Oh, je me fais tancer. J’aime bien. (Un autre reniflement peu gracieux, accompagné d’un geste de main, puis :) Vous avez grande raison, la tâche n’est pas simple.
— Et Huguelin, on ne s’essuie pas la roupie du nez avec la main. C’est fort disgracieux.
— Ah bon ? Que fait-on ?
— On utilise un mouchoir 1 ! Un carré de lin ou de chanvre permet de se débarrasser en courtoisie d’une humeur qui, sans être nocive ou malodorante, n’est guère élégante. Bien, rafraîchissons-nous et rejoignons ce charmant couple pour le dîner 2 . Pas un mot du registre. Nous remonterons ensuite dans notre chambre afin que je le lise. Tu pourras mettre ce temps à profit pour étudier quelques pages d’un traité d’art médical.
— Je puis alléger votre tâche, proposa Huguelin.
— Non pas. Je serai le dernier témoin de ces confidences. Leur involontaire témoin. Elles mourront avec moi, et je jure devant Dieu de n’en rien révéler à quiconque. Je n’utiliserai, de façon détournée, que ce qui pourrait mener au meurtrier du prêtre et de son scribe. La gente âme de ces deux hommes ne doit pas être ternie par des difficultés de vision, des infirmités de vieillerie. Quant aux confessés, leurs aveux doivent rester pour jamais entre Dieu, un prêtre et eux.
— Vous êtes admirable, lâcha Huguelin d’un ton si pénétré qu’il eut pu faire sourire en d’autres circonstances.
— Loin s’en faut, mais je m’y efforce.
Le repas avait été plaisant, maître Gabrien Leguet se montrant, à nouveau, hôte agréable et généreux. Quant à Blandine, sa vivacité d’esprit se manifestait avec tact et elle palliait, un sourire aux lèvres, les incessants trous de mémoire de son époux. Ils traînèrent un peu à table après le boute-hors, des pâtes de pomme aux noix accompagnées d’un verre d’hypocras. Conscient du plaisir des Leguet à recevoir et à bavarder en cordialité avec des étrangers qui amenaient vers eux des anecdotes nouvelles, des brins du monde qui les changeaient de leur petit village, Druon fit taire son impatience à retrouver leur chambre.
Ravie de leurs échanges, Blandine héla :
— Muguette, fillette, te joins à nous et nous enchante.
Aussitôt, la petite fille au bec-de-lièvre surgit, preuve qu’elle attendait cet appel.
— Cher mire, reprit Blandine, Muguette possède voix d’ange. (Se tournant vers la fillette, elle précisa :) Cette chanson de toile 3 que j’aime tant, de M. de Champagne 4 , veux-tu ?
De fait, une voix de cristal, étonnement bien placée pour une enfante, s’éleva.
Dame, quand je devant vous fui
Et je vous vi premièrement
Mes cuers aloit si tressaillant
Qu’il vous remest quand je m’en mui 5 .
Muguette chanta ainsi quelques minutes, puis baissa la tête, intimidée par les applaudissements qui fusèrent. Après un regard de tendresse pour Blandine, elle se plia en gracieuse révérence et fila telle une petite souris effrayée.
Enfin, les deux compagnons purent prendre congé en toute courtoisie.
Druon poussa un soupir de soulagement lorsqu’il eut refermé la porte de leur chambre derrière eux. Il s’en voulut aussitôt. Quel manque de reconnaissance pour ce délicieux couple qui les accueillait en invités de rang ! Mais sa hâte à parcourir le registre et, surtout, à le réduire ensuite en cendres le tendait. N’ayant, en revanche, nulle envie de supporter l’impatience d’Huguelin qui risquait d’arpenter
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