Templa Mentis
nappe de sang les recouvre, si tiède. Igraine fait parler le Sang. Igraine s’efforce de nous atteindre, mais elle ne le peut. Avéla ne sait pas encore, ne peut pas encore. Le Sang dit, Igraine crie : la femme-homme est la seule qui puisse atteindre et comprendre la pierre rouge. Le Sang dit, Igraine crie : nous devons protéger la femme-homme jusqu’à ce qu’elle ait récupéré la pierre. Peu importe qu’elle périsse ensuite. La pierre rouge concentre tous nos futurs. Igraine crie : peu importe qu’elle aussi trépasse, pour nous tous. Seule Avéla doit être sauve. Igraine ordonne : menez la diablesse auprès de la femme-homme, Héluise. C’est sa mère. Que les créatures du monde nouveau s’entre-tuent.
Paderma s’écroula inconsciente sur la paillasse.
Laig la veilla, d’étranges mélopées sortant de sa gorge, elle ne sut combien de temps. Enfin, la fillette s’éveilla.
— Te souviens-tu, Paderma ?
— À peine. Igraine connaît celle qu’elle nomme la femme-homme, la fille d’Aliénor de Colème. Mais pourquoi livre-t-elle cette Héluise à une diablesse ?
— Igraine sait, rétorqua Laig. N’oublie pas, n’oublie jamais qu’Igraine nous a réunis, qu’elle lutte depuis des siècles, elle et ses formes charnelles, afin que nous retrouvions notre monde. Il me faut me préparer afin de convaincre Aliénor de Colème. Aide-moi. Ensuite, en sa présence, tu redeviendras une charmante enfante.
Un immense sourire élargit les lèvres de Paderma qui chuchota :
— Laig, ma Laig, elle arrive… La diablesse se tient devant la porte de la maison. Ne t’inquiète. Je suis là. Comme je me réjouirais de la voir trépassée !
XXXVII
Berd’huis, novembre 1306
M Michel Loiselle sillonnait depuis quelques jours la région. En vain, jusque-là. Cependant, le découragement l’épargnait, tant il était convaincu que la chance tournerait de son côté. De celui d’Héluise aussi. Il ne lui voulait que du bien et, en son âme et conscience, il aurait mis sa main au feu que l’évêque n’était mû que par son immense affection pour la jeune femme.
Avançant au pas sûr de son roncin, il cheminait sans hâte, interrogeant ceux qu’il croisait. Loiselle bénéficiait d’un don rare pour mettre ses interlocuteurs en confiance et les faire vite verser en cordialité. Un don ? Peut-être pas. Les viles pensées l’avaient toujours épargné et sa bienveillance sans mollesse transparaissait dans chacun de ses mots, de ses gestes. Aussi se confiait-on volontiers à lui.
Lorsqu’il démonta devant l’auberge du Loir-Doré à Berd’huis, sexte venait de sonner et la faim le tenaillait.
Il descendit quelques marches et pénétra dans la salle en saluant les rares clients attablés d’un jovial :
— Oh là, gens de bonne compagnie, mon nom est Michel Loiselle, mercier chartrain.
Aussitôt, la méfiance qui accueille généralement un nouvel arrivant, un étranger de surcroît, s’estompa. Maîtresse Loir accourut, approuvant d’un petit mouvement de tête appréciateur la tenue, de jolie qualité, du prétendu marchand. Sous sa houppelande ouverte sur le devant, doublée de loutre 1 , à la dernière mode des villes, Loiselle portait une jaque d’un riche lainage vert sombre, à manches fendues afin de laisser paraître celles de son gipon. Ses chausses raccourcies en peau bleu sombre étaient reliées à sa culotte. Un chaperon d’un gris soutenu, à pointe enroulée autour de son cou en écharpe, terminait sa tenue.
Maîtresse Loir, une jeune femme avenante, l’installa. N’y tenant plus de curiosité et désignant le bas de son vêtement d’un signe de menton qu’elle espéra discret, elle s’enquit à voix basse :
— Sont-ce là ce que les élégants parisiens nomment des hauts-de-chausses ?
— De juste ! Ah ça, je vois que nos campagnes se tiennent au fait des engouements de la grande ville, engouements parfois bien éphémères, si m’en croyez.
— J’ai servi cinq ans chez une dame de haut de Blois. Avant que mon père ne décède, il y a deux hivers de cela, et que je reprenne l’auberge.
Elle s’enquit de ses désirs et revint peu après de cuisine avec un cruchon de cidre de l’année en précisant :
— Le souillon fait réchauffer la soupe d’orge au lard ainsi que l’épaule de mouton au persil.
Fidèle à sa tactique, Loiselle proposa :
— Le merci, maîtresse Loir. Euh… Si vous n’êtes pas trop affairée,
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