Templa Mentis
Il observa M. d’Avre à la dérobée, mais son visage impavide ne trahissait aucune émotion.
Ils patientèrent de longs instants, en vain. Le rire bas et assez incongru du bailli sidéra Druon.
— Bien… L’on cherche à nous échauffer le sang ? À nous claquer le bec ? Distrayant. Restons de marbre. Suivez-moi, mire.
Le bailli traversa la pièce à grands pas et poussa une autre porte.
Ils débouchèrent dans une pièce spacieuse dont le contraste avec la première était saisissant, une salle d’études s’ils en jugeaient par les bibliothèques qui recouvraient trois des murs jusqu’au plafond et par la table de travail aux pieds tournés. Une suave odeur d’oliban flottait dans l’air et un agréable feu flambait dans la cheminée. Des tapis or et rouge sombre recouvraient les dalles. L’homme assis dans un fauteuil à haut dossier sculpté qui trônait en bout de table releva la tête à leur entrée, un petit sourire suffisant jouant sur ses lèvres charnues, la plume d’écriture à la main. Mince, aux traits réguliers, il semblait de taille moyenne. Ses cheveux blonds, mi-longs et ondulés, balayaient ses épaules. Le haut de son vêtement trahissait son goût pour la parure et la mode parisienne. Les poignets de sa fine chemise de soie apparaissaient sous son gipon noir richement brodé de fil d’or, sur lequel il avait passé une jaque sang-de-bœuf, à manches fendues. Ses petits yeux rapprochés, d’une couleur indéfinissable, un noisette très clair tirant sur le gris, évoquaient ceux d’un prédateur à l’affût.
Pas un mot. Le silence qui s’éternisait pesa à Druon de Brévaux jusqu’à ce qu’il en comprenne soudain la cause : un bras de fer entre gens de haut.
Louis d’Avre ne s’inclinerait, ni ne déclinerait son identité avant le salut de l’autre. Il s’était invité en la demeure de Luc d’Errefond, et en dépit d’un lignage bien plus prestigieux que le maître des lieux, aurait dû présenter ses civilités ainsi que ses excuses pour son intrusion. Toutefois, s’étant annoncé comme seigneur bailli, il devenait l’émanation de M. Charles de Valois, suzerain d’Errefond. Sans doute l’autre comprit-il qu’ajouter l’injure à la désinvolture risquait de se retourner contre lui de désagréable manière puisqu’il se leva à contrecœur, contourna la table et s’inclina bas, sans un regard pour Druon.
— Louis d’Avre, déclara le bailli d’un ton plat. J’ai formé le désir de m’entretenir avec vous.
La formulation, volontairement vexante, porta. Les mâchoires d’Errefond se crispèrent sous le camouflet. Louis d’Avre ne requérait pas permission, il décidait.
— Assoyons-nous, voulez-vous ?
Avant que l’autre n’ait le temps de réagir, Louis d’Avre se dirigea vers le haut fauteuil sculpté et s’installa, s’arrogeant de cette façon la place du maître. Une muflerie cuisante destinée, Druon en était certain, à rabattre le caquet de Luc d’Errefond. Louis d’Avre n’en avait pas terminé avec sa démonstration de puissance. Usurpant à nouveau les prérogatives du seigneur des lieux, il se tourna vers Druon, lui proposant :
— Mire, assoyez-vous sur ce banc afin que je profite de vos remarques. Errefond, rejoignez-nous.
Lorsque le petit seigneur s’installa en face de lui, Druon sentit la fureur bouillonner en lui. Cependant, son arrogance matée, l’hôte ne protesta pas. L’admiration du jeune mire pour M. d’Avre crût encore. Jamais il n’avait surpris le bailli en étalage d’autorité face à de petites gens, qu’il traitait avec courtoisie et bienveillance. À l’inverse, il aurait parié que le seigneur d’Errefond appartenait à la race de ceux qui écrasent d’autant plus volontiers les faibles que leur résistance serait moindre. Aussitôt, il s’admonesta. Toujours se garder de porter un jugement défavorable au prétexte que l’autre vous déplaît tout à fait.
Messire d’Avre commença d’une voix ironique :
— Monsieur, ma patience ayant déjà été mise à rude épreuve par la lenteur de vos gens qui se proposaient de me faire grimper une échelle, me confondant sans doute avec votre meunier ou l’un de vos hommes de solde, je n’irai pas par quatre chemins. Me sont venues aux oreilles de fâcheuses rumeurs concernant les décès… rapprochés de vos trois épouses. Sans doute une tragique fatalité. Néanmoins, afin d’éviter des accusations d’honteux
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