Templa Mentis
déjà tenté, en deux siècles d’existence ? N’avons-nous pas toujours défendu les Francs en Orient ?
Le long soupir du conseiller trahit son incertitude.
— Le roi ne reviendra pas sur sa décision, sa rage encore attisée par l’arrogance de Molay qui se croit au-dessus de lui puisqu’il ne répond qu’au pape. S’il s’imagine que Clément rompra en visière avec le roi…
Reposant la longue et forte rémige 7 dont il avait ébouriffé les barbes pour les aplatir à nouveau, il poursuivit :
— Vous aidez à faire sortir vos frères du royaume en les déguisant en pèlerins de l’ordre de Tiron, n’est-ce pas ? Combien à ce jour ? Combien ont rejoint l’Angleterre ?
Avouer revenait à signer son arrêt de mort pour haute trahison. L’indécision d’Hugues de Plisans fut de courte durée.
— Mon oncle, Constant de Vermalais, n’a agi qu’afin de me contenter. J’assume la pleine responsabilité de ces actes…
Un rire bas l’interrompit :
— Amusante pirouette, même si elle vous fait honneur. Constant de Vermalais en bon oncle obéissant, quelle galéjade ! D’autant qu’il vous en voudrait mortellement de tenter de le protéger telle une pauvre vieille femme. Poursuivez. Combien ?
— Une poignée. Guère plus de cent. (S’emportant soudain, Hugues de Plisans, répéta :) Messire, vous, homme de foi profonde, ne pouvez condamner, laisser condamner mes frères, qui ont assuré la paix ou se sont battus tels des lions, qui sont morts par milliers, sans hésitation, dont certains pourrissent dans les geôles sarrasines ! Vous ne pouvez les condamner à être exterminés par les chrétiens qu’ils ont défendus de leur vie. Je ne parle pas de politique, je ne parle ni du roi, ni du Saint-Père, ni de vous, ni même du grand maître. Je parle d’hommes, de moines-soldats qui ont fait don de leur vie, sans rien en attendre en échange. Gare ! Dieu vous juge !
Il s’attendit à une explosion rageuse, ou, à tout le moins, à une volée de bois vert lui rappelant à qui il s’adressait et quelles pouvaient être les fâcheuses conséquences de son insolence, de sa rébellion. Au lieu de cela, M. de Nogaret enfouit son visage entre ses mains sèches et maigres, bafouillant :
— Je sais, cette perspective me mine au-delà de ce que vous pouvez croire. Mais pourquoi ? Pourquoi cette tête de pierre ne cède-t-il pas ? Molay !
Un silence s’installa. Messire de Nogaret, le visage toujours dissimulé par ses mains, respirait fort, semblant se perdre dans un douloureux voyage intérieur. Lorsqu’il releva la tête pour fixer le templier, ses joues semblaient s’être davantage creusées et avoir pris une couleur de cendre.
— Plisans… Jamais je n’aurais prononcé les mots que vous allez entendre. Si vous l’affirmiez, je prétendrais que vous mentez sans vergogne.
— Je vous écoute, messire.
— Faites sortir vos frères du royaume de France au plus preste, je me tairai. Le temps vous presse, croyez-moi. Quant au reste, à la grâce de Dieu ! Je pourrais, éventuellement, et si Constant de Vermalais accepte de faire aimable figure au roi, suggérer à ce dernier que le procès des templiers se tienne en l’hôtel de Tiron 8 à Paris… Procès qui approche à grands pas si Molay ne change pas bien vite de chanson. D’autres escamotages de vos frères seront encore possibles. Peu.
Hugues de Plisans se leva. Il recula de quelques pas et mit un genou en terre. La voix étreinte d’émotion, il commença :
— Messire, quelle gratitude, quel immense soulagement, quel…
Nogaret l’interrompit d’un ton sec :
— Nul remerciement n’est requis, Plisans, je ne le fais pas pour vous. Et maintenant, de grâce, disparaissez de ma vue. J’avais espéré une… cordialité, j’ai récupéré un autre solliciteur, malgré la noblesse de votre cause. Au plaisir de ne jamais vous revoir.
— Mais… Je… Enfin, je souhaitais vous convaincre de la justesse de notre entreprise, la mienne, celle de mon oncle… Puisque vous la partagez… Je puis vous servir… Sans avoir le sentiment de trahir mon ordre.
— Non pas. Je vous l’ai dit, un jour : la peste soit des purs. On ne peut ni les acheter ni les terroriser. Hors de ma vue, monsieur ! Je vous raccompagne jusque dans l’antichambre. Une mauvaise surprise vous y attendait. Elle n’est plus de mise.
Messire de Nogaret fut devant la porte de sa salle d’étude en quelques longues
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