Templa Mentis
sur votre foi.
— Oh, je puis mentir pour ma foi, sourit Hugues.
— M’avez-vous trahi ?
— Non, en vérité, je ne le crois pas. Vous vous êtes trahi.
— Épargnez-moi les acrobaties de langue, Plisans. J’y suis rompu 3 après tant d’années de pouvoir.
— Il ne s’agit pas d’acrobaties, mais d’une affligeante réalité dont je suis certain qu’elle vous ronge parfois.
— Laquelle ? demanda Nogaret, tout en connaissant la réponse.
— Le roi exige notre disparition.
Le conseiller l’interrompit d’un petit geste agacé et rectifia :
— Non pas. Le roi exige votre réunion aux autres ordres soldats, sous la bannière de l’un de ses fils, sans doute Philippe de Poitiers. Philippe est, de mon jugement, le plus apte des trois fils du roi à régner.
— Vous savez fort bien que Jacques de Molay s’y opposera toujours.
— Votre grand maître n’est pas éternel. (Revenant à ce qui lui importait le plus, Nogaret s’enquit d’une voix plate :) Pourquoi vous être rapproché ainsi de moi ? Gagner ma confiance ? Œuvrer contre le roi ?
— À moi seul ? Fichtre, je ne me savais pas si habile, plaisanta le chevalier templier. Non pas. J’espérais vous convaincre. Certains hommes peuvent aisément bafouer, piétiner ce qu’ils chérissaient. D’autres pas. Reste toujours à ceux-là, une lancinante douleur, une sorte de dégoût de leurs actes.
— Mais encore ?
— Vous allez contre votre âme et votre foi. Si le roi l’ordonne, vous aiderez à décimer mon ordre, à exterminer mes frères qui défendirent la chrétienté. Nous avons versé notre sang sans jamais faillir, ni même hésiter. Songez, messire… Songez que devant Dieu et l’histoire, vous seriez alors responsable d’un ignoble sacrilège. Voyez. Voyez le futur. Pour des motifs strictement politiques, vous participerez à une ignominie.
— Monsieur, je vous interdis ! cria Nogaret, ulcéré.
— Peu importe. Je ne suis pas courtisan mais soldat et moine. Je me moque de vous déplaire. Dieu est mon seul juge. Le roi a trente-huit ans. Il trépassera un jour. Selon toute vraisemblance, son fils aîné, le Hutin 4 qui porte bien son surnom, lui succédera, sauf si sa nature malingre a raison de lui avant. Effrayante perspective pour le royaume, avouez-le. Influençable telle une girouette, il défera ce que son père a légué, poussé en cela par les flagorneries et les mauvais conseils de ceux qui servent leurs intérêts. Me trompé-je ?
Nogaret pinça les lèvres de déplaisir. L’épineux problème posé par Louis le Hutin, devenu roi de Navarre au décès de sa mère Jeanne deux ans plus tôt, et si inapte que son père continuait de faire gouverner ses terres par autre que lui. Le Hutin hantait les nuits du conseiller au point qu’il ne voyait plus partir le roi pour la chasse qu’avec un désagréable pincement de cœur. Si le souverain trépassait, que deviendrait le royaume ? À court d’arguments, il tenta :
— Si Philippe de Poitiers prend la tête des ordres soldats…
— Vous savez fort bien que Molay s’obstinera jusqu’au bout parce qu’il ne comprendra jamais qu’il n’existe aucune alternative, répéta Plisans. Vous allez brader un ordre magnifique et en serez responsable pour l’éternité et devant l’histoire. En votre âme et conscience, le pouvez-vous ?
Ébranlé, désireux de se donner une contenance, Nogaret ramassa une plume d’aigle, réservée à l’écriture à gros traits 5 , et l’examina avec un soin maniaque.
— Assoyez-vous, Plisans. Diantre, je n’avais nul besoin d’un nouvel embrouillement ! Votre… approche n’avait donc d’autre but que de me… ramener dans le droit chemin, de sauver ma réputation face à l’histoire, sans oublier mon âme, pour faire bonne mesure.
Sous le ton ironique, presque cinglant, Hugues de Plisans décela une sorte de tristesse.
— En aucun cas, je n’ai souhaité porter préjudice au roi, ni à vous. Disons que… j’espérais parvenir à vous convaincre de lui apporter un autre conseil.
— Je ne sais si je dois me réjouir que l’on veuille tant mon bien, ou m’en insurger. Quant au reste, le roi n’est pas si influençable que le prétendent certaines langues vipérines 6 . De fait, le Temple constitue une menace militaire au seul ordre du pape.
— Et pourquoi, diantre, Clément V se retournerait-il contre le royaume, usant de nous en bras armé ? L’avons-nous
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