Terra incognita

en l’amenant à prendre sa place, sa mère s’était mise à protéger la lignée de Mélusine contre elle, comme un trésor jalousement gardé.
    Or, qui retrouvait-on au bout de cette lignée ?
    Constantin.
    Ce qui avait renvoyé Marthe à ces deux questions :
    Quelle importance revêtait-il pour les Hautes Terres et pour sa mère ? Quelle était sa véritable destinée ?
    La seule raison qui avait empêché Présine de tuer Marthe de ses propres mains était dans sa nature profonde de guérisseuse. Présine en était incapable. Fondamentalement incapable.
    Ce qui l’avait amenée à ruser.
    Alors, tandis que Mélusine proposait à Marthe une alliance contre leur mère, Présine s’était servie d’Algonde. Jusqu’à la convaincre de prendre la place de Mélusine dans le Furon. Mais la donne avait changé. Habitée par la noirceur et les pouvoirs maléfiques de la Harpie, Plantine était devenue Marthe. Et, avec elle, capable du pire pour atteindre son but.
    Il avait fallu ces dix dernières années à Marthe pour comprendre que l’acharnement de sa mère n’avait eu qu’une seule raison, sa peur qu’elle se souvienne d’un détail, de quelque chose de primordial qui compromette ses projets. Alors elle s’était mise à chercher.
    C’est le savoir de Mounia qui l’avait aidée à découvrir la vérité. Mais c’est dans le tombeau d’Osiris, devant la fresque qui montrait Morlat-Seth aux prises avec Apophis qu’elle avait fini par l’admettre. Sa mère les avait trahis. Tous. Elle et Mélior en premier.
    Face à ce constat, elle aurait dû s’emporter de vengeance. Au contraire, un autre plan avait germé, réveillant en Marthe la voix éteinte de Plantine, et l’espoir de liberté.
    *
    Ce jourd’hui, 7 octobre en Avalon, alors qu’une pluie givrante cinglait les volets de la tour sombre, la seule encore en état dans ce castel battu par les vents au sommet d’une colline bordée de landes, Marthe ne doutait plus qu’Elora avait compris le message qu’elle lui avait laissé à Istanbul avec le flacon pyramide.
    Elle venait de capter sa présence à quelques encablures de l’île.

69
     
    À aucun moment depuis leur départ des Saintes-Maries, ni aux escales pour se ravitailler, ni à Brest pour rallier le navire qu’Enguerrand avait chargé ses mercenaires d’affréter, Présine n’avait eu d’intimité avec Elora. Même si la communauté avait été répartie sur les deux caravelles, pour en alléger le poids et leur redonner à chacun un semblant d’espace vital, ils étaient encore les uns sur les autres le plus souvent.
    À l’exception d’une tempête qu’ils avaient essuyée avec plus de peur que de mal, la traversée s’était bien passée.
    Les deux bateaux avaient, côte à côte, jeté l’ancre dans une des baies de l’île que leur avait indiquée Présine. L’endroit, leur avait-elle assuré, offrait un double avantage. Se garder d’une collision avec les icebergs qui dérivaient au large et s’approcher au plus près de la destination visée par la carte de Merlin. Refermée par des falaises escarpées et de longs bras de mer, la baie leur avait ouvert aussi de belles plages lisses et sablonneuses pour accoster.
    Deux heures plus tard, la nuit était tombée et une pluie glaciale crépitait sur le pont.
    Fort heureusement, l’averse s’était calmée à leur réveil, laissant place à un ciel chargé et froid que les mantels fourrés peinaient à endiguer. Le pont avait mis la matinée à dégeler. Elora avait eu raison de les presser. Qu’en aurait-il été une fois l’hiver installé !
    Présine détourna son regard des monts qui dominaient l’ancien port d’Avalon redevenu aux yeux des hommes Terra incognita. Plus aucune trace ne subsistait de la ville sinon le vieux castel qui dominait la rade depuis sa haute colline. Marthe ne pouvait pas ne pas les avoir vus arriver. Mais, de là où ils se trouvaient, tout avait l’air abandonné.
    Elle s’arracha au bastingage.
    Pour garantir la sécurité des enfants, il avait été entendu qu’elle resterait à bord avec les trois quarts de la communauté. Seuls Khalil, Elora, Constantin, Mounia, Enguerrand, Lina et Nycola partiraient chercher la carte de cristal en suivant les indications de celle que Merlin avait laissée à Deir el Medineh.
    Présine s’attarda sur le rire d’Algonde que Mathieu venait de chatouiller, l’empêchant de porter à Briseur qui l’attendait dans la barque, au flanc du