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Terra incognita

Terra incognita

Titel: Terra incognita Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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suspendus, des fontaines, des mosquées, des églises, des minarets, des ports. Trop de monde, trop de vie, trop de mouvement. Même à Rome, il ne s’était pas senti si petit. Si étrangement et curieusement aspiré. Il refusait de croire que l’éventuelle proximité de sa mère naturelle, ou celle, impalpable, de cette créature du mal qu’Elora craignait, en était la cause. Non. Dès l’instant où il posa le pied dans cette ville, il sut qu’elle avait été d’importance pour lui. Autrefois. Quand ? Il l’ignorait. Mais c’était avant sa naissance, oui. Nycola lui avait souvent raconté que l’on possédait de nombreuses vies, les unes succédant aux autres dans un ballet presque infini dont Dieu Tout-Puissant était le maître. La survivance de l’âme.
    Bien sûr, cela n’avait été qu’une intuition. Mais, tantôt, lorsque Elora avait basculé dans sa nuit, il en avait acquis la certitude. Il était déjà venu dans cette ville. Avec elle. C’est pour cela qu’il avait été certain de pouvoir la délivrer. Il l’avait déjà fait par le passé. Avec le même amour et le même désespoir au cœur. Et la même évidence. Ici, comme hier, ou ailleurs, il sacrifierait sa vie pour la sauver.
    Du coup, sa peur, celle qui lui nouait le ventre depuis leur départ de Rome, avait disparu. Il aimait Elora. Savait combien le lien qui les unissait était puissant. « Au-delà du temps, avait-elle dit, à cause du pouvoir des Anciens. » Il s’était abstenu de commentaires. Mais n’en pensait pas moins.
    En quelques mois il avait vieilli, changé d’allure, abandonné sa figure pouponne de l’enfance, ses traits réguliers, le duvet soyeux de ses joues. À présent, il sentait sous ses doigts la dureté d’un poil de barbe, ses cheveux étaient plus drus, ses sourcils plus marqués, sa voix était plus grave. Il s’était étiré de plusieurs pouces, manifestait une musculature plus déliée, au point ce jourd’hui d’avoir rattrapé Elora en taille. L’avait-elle vu se transformer ? Avant qu’il l’embrasse ? Non. Sans doute pas. On ne remarque pas l’évidence au quotidien. Il était en train de devenir homme, de manière prématurée, comme elle était devenue femme déjà. À les voir, on ne pouvait les qualifier d’enfants. De jouvenceau et de jouvencelle, à peine.
    La vérité était ailleurs. Ils étaient des guerriers. Il était un guerrier. Prêt désormais au combat.
    *
    — Cesse de rêvasser, mon fils, le temps presse.
    La voix de Nycola le ramena à sa tâche. Il serra de toutes ses forces les sangles qui retenaient leurs bagages au dos des mules. Fort peu de choses en vérité dans cette couverture pliée. Quelques rechanges de linge, de chandelles, d’amadou, des ustensiles de cuisine, de l’huile, du savon. Aux flancs de la seconde bête, dans des sacoches de cuir, c’étaient fruits secs, galettes et gourdes qui voisinaient avec les onguents, élixirs et autres médications dont le Bohémien ne se séparait jamais.
    La mule racla du sabot. Elle n’appréciait visiblement pas sa charge. Khalil lui gratta les oreilles, se pencha vers celle qui se baissait.
    — Allons, ma belle. Sur le bateau, je te déchargerai. Mais là, faut nous mener.
    — Iras-tu jusqu’à l’embrasser ?
    Il se retourna vers le sourire moqueur d’Elora. La jouvencelle venait de sortir de la bâtisse, après leur avoir recommandé de ne rien laisser transpirer de leurs nouveaux projets. De fait, dans sa vision, Elora se souvenait clairement d’une taverne sur le vieux port, par laquelle Marthe avait emmené Mounia. Il y avait peu de chances que l’Égyptienne y soit gardée, mais, selon elle, un passage secret devait s’y trouver. En l’empruntant, ils sauraient vite si Marthe les avait devancés. De là, ensuite, ils pourraient s’embarquer.
    Khalil lui rendit son sourire, assorti d’un œil admiratif.
    Elora était vêtue d’un pantalon couleur d’azur, ceinturé aux hanches par un bandeau marine et bouffant aux chevilles. Sa poitrine s’arrondissait sous une tunique courte et cintrée qui dévoilait un nombril parfaitement ourlé. Ses cheveux longs abondamment brossés étaient retenus vers l’arrière par une couronne de fleurs blanches qui libérait une multitude de voiles semi-transparents tels des lambeaux de nuage. Pour finir, une capeline pendait à son bras nu, agrémenté comme l’autre d’un jonc d’or au-dessus du coude.
    Elora avait prévu de se couvrir de ce

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