Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Terra incognita

Terra incognita

Titel: Terra incognita Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
Vom Netzwerk:
tristesse, avant de se tourner vers Bayezid.
    — Je suis vôtre, mon sultan, et fière de m’accorder à votre pas.
    Bayezid n’attendit pas davantage pour donner le signal du départ.
    Sur l’épaule de Khalil, comprenant soudain qu’Elora les plantait là, le petit singe se mit à pousser de hauts cris et voulut s’élancer derrière elle. Khalil le retint par le bras.
    — Ayo Bouba ! Ayo ! Elle reviendra.
    Mais, lorsque le portail se referma sur elle et son geôlier, il sentit grandir en lui la pesanteur d’une infinie solitude.
    Nycola lui tapa sur l’épaule.
    — Allons, mon fils, en route. Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, malgré la mission qu’Elora vient de te confier, tu as passé l’âge de bouder.

12
     
    Elle s’était rabougrie au fil des années telle une plante rationnée en lumière, maintenue en vie par l’eau et la nourriture épandues à ses pieds. Non qu’elle ait perdu sa beauté. Le front haut sous les boucles d’ébène était le même, le regard ocré constellé de paillettes d’or, identique, mais les joues s’étaient creusées jusqu’à faire saillir l’os des pommettes, l’allure, autrefois élancée et voluptueuse, s’était desséchée, le dos voûté. Plus que son apparence pourtant, c’était sa folie qui témoignait de sa déchéance. Contrairement aux prédictions de la Khanoum qui s’était imaginé la sauver d’elle-même 4 , Mounia n’avait pas réussi à se guérir de la perte de son fils.
    La mère du sultan et le sultan lui-même avaient tout tenté pour l’arracher à cet ailleurs dont elle avait un matin ouvert la porte. Elle n’était pas revenue dans la réalité.
    Depuis, les mots qu’elle prononçait n’appartenaient à aucun langage connu, n’invitaient à aucun dialogue. Elle se sustentait par réflexe, ne réclamait rien, ne voyait rien et passait ses journées depuis dix ans à broder la même phrase incompréhensible.
    « Ouïmaona inemaïchoï. »
    Phrase qui s’étirait en boucle sur un long serpentin de satin. Maintes fois replié sur lui-même, il touchait ce jourd’hui le plafond tel un pilier soyeux et improbable. Les seules fois où ce corps avait semblé reprendre vie, c’était pour empêcher qu’on enlève de la pièce ce travail inutile. La Khanoum se souvenait d’un jour où une servante avait voulu en supprimer une partie, défaisant par là les points entre deux bandes de tissu. Mounia avait bondi de son fauteuil pour lui sauter à la gorge. Sans l’intervention opportune d’un eunuque, la malheureuse aurait fini étranglée.
     
    Dans ce lieu inconnu de tous, situé en plein cœur des vieux remparts d’Istanbul, l’Égyptienne était à l’abri des regards, emmurée dans son silence autant qu’entre les pierres. Elle ne faisait de tort à personne si l’on respectait son ouvrage.
    Bayezid l’avait aimée plus que de raison et restait attaché à elle, convaincu que son incohérence avait un lien avec cette histoire qu’elle lui avait autrefois racontée et dont, parfois, dans ses rares moments de lucidité, elle parlait en grec.
    Peu avant le drame, Mounia avait déterré de l’oubli plusieurs cartes qui mentionnaient des terres inconnues, des îles de légende. Toutes avaient survécu à l’incendie de l’antique bibliothèque d’Alexandrie. L’Égyptienne lui avait fait croire à l’existence d’un monde abandonné des hommes depuis des temps immémoriaux. Ses yeux brillaient. Bayezid avait emporté leur éclat en voyage. Mais, à son retour, il avait découvert que leur fils avait été assassiné et Mounia mise au secret.
    Il avait tenté de la ramener à ses recherches, à la vie. Sans succès. Il avait alors confié les cartes à un de ses amiraux, Kemal Re’is. Aidé de son neveu, ce dernier s’était mis à sillonner les mers pour en vérifier l’exactitude, y ajoutant ses propres commentaires. Et puis Colomb avait affirmé avoir rallié l’Asie par l’ouest, détruisant l’affirmation de Mounia d’un continent inexploré.
    À son tour, Bayezid avait renoncé.
    Désormais, comme sa mère, il ne la visitait plus que rarement, le cœur abîmé de la contempler plus diaphane de jour en jour, et s’attendant d’autant à la voir s’éteindre.
    *
    Ce 11 mai de l’an de grâce 1495, il semblait que tout espoir se soit envolé et la Khanoum portait le deuil sur son visage en pénétrant dans cette cache que feu le basileus Manuel Comnène avait imaginée.
    Pour la

Weitere Kostenlose Bücher