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Terra incognita

Terra incognita

Titel: Terra incognita Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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première fois en dix années, Mounia ne s’était pas levée.
    La chambre que l’Égyptienne occupait était, à l’image des autres pièces, en enfilade, privée de fenêtres. Seules des meurtrières laissaient filtrer l’air iodé et les bruits du port. Pas la lumière. L’Égyptienne vivait depuis dix années dans la clarté des flambeaux aux murs.
    En pénétrant dans ce sanctuaire qui avait autrefois abrité les amours du basileus, la Khanoum fut, pour la première fois, avalée par la noirceur de cette prison dorée. Un doute la glaça. En voulant protéger Mounia d’elle-même et des autres pensionnaires du harem, ne l’avait-elle pas abîmée plus encore ?
    L’eunuque qui était venu la quérir avait allumé les chandeliers autour du lit, troublant la pénombre de lueurs ondoyantes. Depuis la porte qu’elle venait de franchir, la Khanoum eut le sentiment que la faucheuse avait déjà accompli son œuvre tant le visage qui dépassait des draps était exsangue et les mains osseuses.
    « Elle respire… », lui avait assuré le serviteur d’une voix égale. Soulagement ? Regret ? Elle-même ne savait quel sentiment l’animait encore face à cette vie gâchée, à cette beauté flétrie.
    La Khanoum s’approcha de la couche à pas si légers qu’aucun bruit ne troubla le silence. Elle ne voulait pas être dérangée. Sa main droite glissa sous sa manche gauche, extirpa une petite fiole noire. Sa décision était prise. L’idée d’une agonie qui s’éterniserait lui était insupportable. Il y avait trop longtemps déjà que le quotidien de Mounia y ressemblait.
    Parvenue près de l’oreiller, elle déboucha le flacon. Son fils ne saurait rien. Il constaterait. Indifférent sans doute, puisque depuis la veille il ne parlait plus que de cette Bohémienne, avec dans la voix et le regard la même ferveur qu’il avait eue pour Mounia. À son arrivée, tout à l’heure, elle, la plus importante des femmes du harem, serait chargée de son éducation. La Khanoum s’était fait le serment de ne pas refaire avec cette Elora la même erreur qu’avec Mounia.
    Une erreur que, sans plus attendre, elle allait effacer.
    Elle se pencha au-dessus du visage, s’apprêtant à pincer les narines pour forcer la bouche à s’entrouvrir, lorsque les yeux s’écarquillèrent d’un coup, la rejetant en arrière dans un petit cri de surprise.
    La voix de Mounia cisailla l’espace de son timbre éraillé.
    — Poison ou élixir de vie ? Lequel as-tu choisi pour moi, ma mère ?
    Un frisson désagréable parcourut la Khanoum.
    — N’as-tu pas choisi toi-même depuis longtemps ?
    Elle remisa le bouchon de liège, posa la fiole sur le chevet.
    À l’instant de mourir, l’Égyptienne avait retrouvé sa lucidité. Elle venait de se redresser, de chercher l’appui des coussins de couleurs vives.
    — Viens près de moi, exigea-t-elle.
    La Khanoum s’approcha sans crainte. Combien de temps, cette fois ? Combien de temps avant que sa folie ne lui rejette la nuque en arrière, les yeux dans le vague, à la merci de mots sans suite ? Le dernier échange, se promit la vieille femme en souriant pour masquer sa détermination.
    — C’est Amar qui est venu me quérir. Il était inquiet.
    Mounia hocha la tête, s’attarda un instant à fixer le néant, avant de planter son œil doré dans celui, noirci de fard, de la Khanoum.
    — Je savais qu’il le ferait.
    La Khanoum tiqua. Dépourvus de vie l’instant d’avant, les traits venaient de se ranimer. La main gauche de Mounia emprisonna la sienne, la voix se fit douce.
    — Il y a fort longtemps de cela, tu m’as promis une vengeance, t’en souviens-tu ?
    — …
    — Le cœur de celle qui m’enleva Khalil.
    La Khanoum sentit grandir en elle un malaise inexpliqué. D’autant que Mounia s’était mise à rire, d’un rire si discret qu’il franchissait à peine la barrière de ses lèvres.
    — Je vais partir, ma mère. Mais pas sans régler mes comptes, tu comprends ?
    — Je comprends…, lui concéda la vieille femme, comme une dernière volonté.
    Elle tapota la main décharnée de l’Égyptienne, faisant tintinnabuler les fins bracelets qui encerclaient son propre poignet.
    — … Mais tu es trop faible pour t’en charger toi-même. Laisse-moi agir.
    — Comme tu l’as déjà fait par le passé, n’est-ce pas ?
    Le ton, durci soudain, alerta la Khanoum. Mounia ajouta, amère :
    — Elle est restée libre. Moi enfermée. Laquelle

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